23 avril, 2012

La Cour suprême s'apprête à examiner la loi d'immigration en Arizona

La cour suprême des États-Unis se saisie cette semaine d'une loi sur l'immigration votée en Arizona, autorisant le contrôle au faciès.
La cour suprême des États-Unis se saisie cette semaine d'une loi sur l'immigration votée en Arizona, autorisant le contrôle au faciès. | AP/Ross D. Franklin

La Cour suprême et l'administration Obama s'apprêtent à entamer un nouveau bras de fer. La plus haute juridiction du pays doit examiner à partir de mercredi 25 avril une affaire très controversée qui divise la société américaine : le renforcement de la répression contre les immigrés illégaux dans l'Arizona. La Cour suprême doit déterminer si la loi votée par cet Etat est constitutionnelle.
Cette affaire a pris une dimension nationale. "C'est un énorme cas", a déclaré au Mercury News Andrew I. Schoenholtz, professeur de droit à l'Université de Georgetown. "Cela peut être une des plus importantes décisions concernant l'immigration des vingt ou trente dernières années", a dit Dean Kevin Johnson, de l'Université de droit de Californie dans USA Today.
UNE LOI QUI FAIT DE L'IMMIGRATION UN DÉLIT
Cette mesure, intitulée SB 1070, est la plus répressive jamais envisagée contre les immigrés dans un des cinquante Etats américains. Votée le 23 avril 2010, elle est entrée en vigueur en juillet 2010 mais a été purgée de ses dispositions les plus controversées par la justice à la demande de l'administration Obama. Après avoir été déboutée de ses recours en première instance et en appel, la gouverneure de l'Arizona, Jan Brewer, a décidé de porter l'affaire devant la Cour suprême.
Cette mesure fait de l'immigration clandestine un délit, passible de six mois de prison. Son volet le plus controversé permet aux policiers d'arrêter les immigrants sans mandat ou de leur demander de se justifier en cas de "délit présumé" si l'agent a un "soupçon raisonnable" quant à la légalité de la présence d'un individu sur le territoire.
Une incitation au délit de faciès qui pousse à la stigmatisation, selon ses détracteurs. Dans une tribune publiée dans le Washington Post le 23 avril, Arthur Hunter Jr., juge en Louisiane, s'interroge : "Comment saurez-vous qu'un conducteur blanc, noir, un asiatique, un indien, quelqu'un du Moyen-Orient, est un étranger en situation irrégulière ?" "Ces lois désignent comme responsables de l'application de la loi un pouvoir discrétionnaire illimité qui est sujet à des abus des agents sur la détention des immigrants sans papiers", ajoute-t-il.

De son côté, le Centre pour le progrès américain en matière d'immigration évoque trois raisons pour lesquelles cette mesure ne solutionnera pas les problèmes d'immigration des Etats-Unis : les immigrants clandestins ressemblent à n'importe qui, les Etats n'ont pas les pouvoirs pour les renvoyer aux frontières, et ils ne quittent pas le pays même si des lois anti-immigration sont votées.

UNE FORTE IMMIGRATION ILLÉGALE

Les Etats-Unis comptent près de douze millions de clandestins, selon les chiffres officiels. La moitié d'entre eux sont d'origine mexicaine, entrés en traversant le Rio Grande qui sépare les deux pays. Cette mesure intervient alors que l'Arizona, Etat frontalier du Mexique, connaît une des plus fortes vagues d'immigration depuis quelques années et rencontre de plus en plus de difficultés à contrôler ses frontières. Un tiers des 6,6 millions d'habitants de l'Arizona ne sont pas nés aux Etats-Unis et quelque 460 000 personnes, selon les estimations, sont en situation irrégulière.
"Alors que personne ne peut nier que l'Arizona porte le fardeau de l'impact de l'immigration clandestine, le gouvernement fédéral a largement ignoré les appels au secours de l'Arizona et ses demandes de ressources supplémentaires", souligne l'Etat de l'Arizona dans son recours devant la Cour suprême, expliquant que 17 % des détenus de l'Arizona étaient des clandestins.
Cette loi se veut une réponse à l'immobilité du gouvernement Obama en matière d'aide à la sécurisation des frontières. Dans le même temps, l'Arizona est devenu le principal corridor du trafic du drogue, ses immenses étendues désertiques rendant la protection de la frontière plus compliquée.

UN BRAS DE FER ENTRE LE GOUVERNEMENT FÉDÉRAL ET LES ÉTATS

L'Alabama, la Géorgie, la Caroline du Sud, l'Indiana et l'Utah ont également adopté des mesures strictes sur l'immigration. Estimant que la Constitution ne permet pas "le développement d'une mosaïque de politiques d'immigration locales" et que ces lois empiètent sur les prérogatives de l'Etat fédéral en matière d'immigration, l'administration Obama a déposé des recours devant les tribunaux. Les juges locaux ont bloqué la plupart de leurs dispositions, en attendant une décision de la haute cour.
Cette affaire ouvre un nouveau chapitre dans la bataille partisane sur les droits des Etats et l'étendue des pouvoirs du gouvernement fédéral, comme l'explique le Seattle Times. "C'est un cas qui traite de fédéralisme. Ce n'est pas qu'une question d'immigration. Cela concerne les relations entre le gouvernement fédéral et l'Etat. C'est la norme d'avoir des fonctionnaires des Etats qui appliquent le droit fédéral", a indiqué à Reuters Paul Clement, avocat qui défend l'Arizona. L'Etat attend que la haute cour reconnaisse que la Constitution lui donne davantage de pouvoirs pour traiter des dossiers nationaux.

UNE DÉCISION TRÈS POLITIQUE

"La peur est un mobilisateur remarquable", a expliqué Gary Segura, professeur de science politique de l'Université Stanford, à Reuters. Alors que la décision de la Cour suprême doit intervenir en juin, à cinq mois des élections présidentielles américaines, l'affrontement entre républicains et démocrates devrait en partie se jouer sur la question de l'immigration illégale. L'année dernière, près de 400 000 personnes ont été ramenées à la frontière par l'administration américaine. Un niveau record.
Une décision pro-Arizona serait un revers juridique et moral pour le président-candidat Obama, mais pas forcément politique pour celui qui a dénoncé l'amalgame entre les immigrés clandestins et des millions d'Hispaniques qui ont la citoyenneté américaine et qui ont soutenu le président démocrate à l'élection présidentielle de 2008.
A l'inverse, une décision contre l'Arizona porterait un coup à Mitt Romney. Le Wall Street Journal rappelle que le candidat républicain soutient cette loi et a promis que, s'il était élu président, il abandonnerait ces poursuites dès le premier jour de son mandat. Mais pour Karthick Ramakrishnan, professeur agrégé de science politique à l'Université de Californie, indépendamment de la décision de la Cour,"il va être difficile [à Mitt Romney] de gagner des partisans latino-américains". La population hispanique pourrait donc être une des clés du scrutin.

Le Monde.fr

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