31 mars, 2012

Wade l'anti Gbagbo

En acceptant rapidement sa défaite à la présidentielle de mars 2012, Abdoulaye Wade a permis au Sénégal de sauvegarder les acquis de la démocratie. Et il a réussi sa sortie.

Conférence de presse d'Abdoulaye Wade, le 27 mars 2012, Dakar. REUTERS/Stringer
Le secrétaire général de la Francophonie et ancien président sénégalais Abdou Diouf a estimé le 30 mars que son pays était "un exemple pour tout l'espace francophone et pour tout le continent africain" après la réussite de l'élection présidentielle.

Avant même que sa défaite ne soit officielle, Abdoulaye Wade a décroché son téléphone le 25 mars au soir pour féliciter Macky Sall, le vainqueur de la présidentielle. Celui qui a régné sur le Sénégal pendant douze ans évite ainsi de sortir par la petite porte. Alors même que la campagne électorale avait suscité bien des inquiétudes en Afrique tout comme en Occident. Avant même le premier tour de la présidentielle, des médias occidentaux n’hésitaient pas à titrer à la Une: «Wade président à vie».
Son camp n’avait-il pas annoncé une victoire du président de 85 ans dès le premier tour. Avec un score très précis: 53% en faveur du président sortant. Les soupçons d’élection biaisée avaient été notamment alimentés par l’invalidation de la candidature du chanteur Youssou Ndour.
L’opposition accusait le président Wade de ne pas avoir respecté la Constitution. Selon leur interprétation de ce texte, le président sortant ne pouvait pas se représenter devant les électeurs dès lors qu’il avait déjà effectué deux mandats consécutifs. A la veille du scrutin, le climat était d’autant plus lourd que plusieurs manifestants «anti Wade» avaient trouvé la mort lors d’affrontements avec les forces de l’ordre.

L'exception sénégalaise

En acceptant aussi promptement sa défaite le président Wade a permis au Sénégal de conserver son image de démocratie modèle en Afrique francophone.
«Nous sommes fiers d’être une vraie démocratie. Comme en Europe, les résultats de l’élection ont été connus dès le soir du vote. C’est bien pour l’Afrique, il y a si peu de démocratie sur ce continent», s’enthousiasme Alassane, un étudiant dakarois.
Il est vrai qu'en matière de démocratisation, les bonnes nouvelles ont récemment été rares. Le coup d’Etat du 22 mars a mis brutalement fin à l’expérience démocratique malienne. Le président ATT (Amadou Toumani Touré) a été renversé à quelques semaines de la présidentielle. Il avait été élu démocratiquement: sa chute est donc un revers sérieux pour la démocratisation du continent.
Autre pays phare de la démocratisation en Afrique francophone, le Bénin a connu une présidentielle houleuse en mars 2011. Le président Boni Yayi a été réélu dès le premier tour. Mais son adversaire Adrien Houngbedji s’est autoproclamé président de la République.
En décembre 2010, la Côte d’Ivoire s’était elle aussi retrouvée avec deux présidents. Alassane Ouattara dont l’élection était reconnue par la communauté internationale et Laurent Gbagbo dont la «victoire» avait été validée par le Conseil constitutionnel ivoirien.
Après la présidentielle de novembre 2011, la RDC (République démocratique du Congo) s’est, elle aussi, retrouvée avec «deux chefs» de l’Etat. Joseph Kabila ayant proclamé sa victoire dès le premier tour. Alors qu’Etienne Tshisekedi s’autoproclamait président de la RDC.
Depuis l’indépendance acquise en 1960, le Sénégal a connu quatre présidents et deux alternances. Et jamais aucun putsch. Peu de pays d’Afrique francophone peuvent se targuer d’un pareil bilan.

Wade a joué habilement sa partition

En acceptant sa défaite, Abdoulaye Wade se ménage une place de choix dans l’histoire africaine, malgré ses errements des derniers mois. Il a su jouer habilement sa partition. Au final, il est remplacé par Macky Sall, un homme qu’il se plaît à présenter comme son «apprenti».
Quoi qu’il en soit, Macky Sall est l’un de ses ex-Premiers ministres (de 2004 à 2007), il appartient tout comme lui à la famille libérale. Sall n’a été exclu du PDS (Parti démocratique sénégalais) qu’en 2008 à la suite d’un différend avec Karim Wade, le tout puissant fils du président. Macky Sall voulait demander des comptes au «ministre préféré du président». Un geste qui a été alors perçu par le clan Wade comme un crime de lèse-majesté.
Lorsqu’il fera l’inventaire de «l'ancien régime», il est fort probable que Macky Sall ne fera pas preuve d’une sévérité excessive. Car après tout, jusqu’en 2008, il faisait lui-même partie de ce clan. Un autre président —issu de l’opposition historique à Wade— n’aurait sans doute pas fait preuve de la même indulgence.
Jusqu’au bout, Abdoulaye Wade est resté d’une grande habileté. En mars 2011, il m’a expliqué qu’il serait candidat en 2012. Je lui ai demandé sur le mode ironique s’il serait aussi candidat en 2017. Il a d’abord répondu «Non, bien sûr», avant de corriger très rapidement.
«Si, je serai aussi candidat en 2017. Si je disais le contraire, les courtisans me lâcheraient tous. Je ne vais pas commettre la même erreur qu’Abdou Diouf en 2000. Comme il avait dit que c’était son dernier mandat, ils l’avaient tous lâché» a affirmé Wade en riant du bon tour joué à son prédécesseur.
Abdoulaye Wade connaissait par cœur l’art de la «transhumance»: une pratique très courante au Sénégal qui veut que les hommes politiques changent très facilement de parti au gré de leurs intérêts du moment.

Tentation de s’accrocher au pouvoir

Il est certain que le président Wade a été habité jusqu’au bout part la tentation de s’accrocher au pouvoir. Certains de ses proches lui conseillaient de s’accrocher coûte que coûte. Mais il a vite compris que la société civile sénégalaise était bel et bien décidée à le faire «dégager» pour reprendre le terme à la mode à Dakar. Le «Wade dégage» avait même fait florès chez des enfants en bas âge.
La prise de conscience tardive de son impopularité croissante —notamment chez les plus jeunes— a sans doute été accélérée par l’accueil houleux dans son bureau de vote où il a été hué lors du premier tour. Jusqu’alors son entourage préservait le vieil homme des «mauvaises rencontres». Par ailleurs, dès le soir du premier tour, il s’est avéré très difficile d’organiser des fraudes massives. Les médias sénégalais, très dynamiques, communiquent les résultats des bureaux de vote dès leur fermeture. En direct, à l’antenne. Aucun résultat n’est épargné au téléspectateur ou à l’auditeur qui saura combien de Sénégalais de Parme ou de Barcelone ont voté pour Abdoulaye Wade ou Macky Sall.
Dès les premières heures de la soirée du 25 mars, il était clair que la victoire de Macky Sall était écrasante. Le vote des immigrés lui donnait le plus souvent les trois quarts des suffrages. Même à Touba, la ville sainte des mourides (la confrérie de Wade), le président sortant peinait à faire la différence.
Wade savait que la messe était dite. Une fois encore, il a surpris son monde en jouant aussi rapidement les bons perdants. Le pragmatisme —voire l’opportunisme— est l'un des traits les plus marquants de son caractère. L'année dernière, il n’avait pas hésité à lâcher en rase campagne son «ami» Kadhafi. Alors même que le guide venait régulièrement le soutenir, Wade n’avait pas hésité à effectuer le voyage en «Libye libérée» pour dire au guide qu’il était temps de quitter le pouvoir.

Fasciné par François Mitterrand

Sa capacité d’adaptation est sans doute l’une des clés de sa longévité en politique. Fin connaisseur de la vie politique française, Abdoulaye Wade était fasciné par François Mitterrand: il admirait notamment «sa ténacité, sa roublardise et sa gestion du temps». Tout comme lui, il se voulait en politique, un sphinx, un roi de l’ambiguïté.
Wade va quitter le pouvoir avec les honneurs, malgré un bilan très contrasté. Très mitigé, notamment du fait de l’accroissement des inégalités sociales et de la gestion peu rigoureuse des deniers publics. Laurent Gbagbo aurait pu connaître un même destin: celui du sage adulé pour avoir su quitter le pouvoir à temps. Mais il y a tout juste un an, il était arrêté. Aujourd’hui, l’ex-président ivoirien croupit dans une prison de la Cour pénale internationale (CPI), il attend d’être jugé.
Lui aussi fin connaisseur de la vie politique française, Laurent Gbagbo avait d’autres lectures et d’autres tropismes: il était fasciné par la révolution française. C’est là qu’il trouvait son inspiration. Même s’il sait sans doute que les «héros» de ces temps lointains finissent, le plus souvent, très mal. La tête sur la guillotine.
Jusqu’au bout, Wade aura laissé toutes les portes ouvertes. Autant de voies tracées pour échapper à un destin tragique à la Gbagbo. A l’image de son inspirateur François Mitterrand, il aura laissé «le temps au temps». Et aussi, apport plus personnel, la démocratie aux Sénégalais.
Pierre Cherruau

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