20 décembre, 2011

Etats-Unis: les frères Koch, pétroleurs anti-Obama

Etats-Unis: les frères Koch, pétroleurs anti-Obama

Le 4 novembre, une manifestation hostile encercle le centre de conférences de Washington, où les frères Koch clôturent le congrès de leur fondation de soutien aux républicains.

AFP/Nicholas Kamm

Les frères Charles et David Koch ont gagné leur colossale fortune dans la pétrochimie. Ils consacrent désormais ce trésor de guerre à la diffusion des idées populistes de la droite extrême américaine. Pour qu'elles triomphent, coûte que coûte, à la présidentielle de 2012.

Mesurer 2 mètres, peser 50 milliards de dollars et chercher à précipiter la chute de Barack Obama lors des élections de 2012 n'est sans doute pas le meilleur moyen de passer inaperçu. La discrétion est pourtant l'une des obsessions de David et Charles Koch, deux frères âgés de 71 et 76 ans. Barons de la pétrochimie, ils détiennent, à deux, la troisième fortune des Etats-Unis, après Bill Gates et Warren Buffett. Dans l'ombre, ils peaufinent un projet qui leur est cher: s'emparer de la droite américaine afin qu'elle prône la réduction systématique du rôle de l'Etat, attiser l'insurrection populiste du Tea Party et en finir - "C'est une question de vie et de mort pour notre pays", disent-ils - avec la "dérive socialiste des Etats-Unis".

Côté secret, c'est raté. Les visages des Koch et leur nom (qui se prononce Ko-ouk) s'étalent depuis plusieurs mois sur toutes les banderoles des indignés du mouvement Occupy Wall Street : l'un et l'autre incarnent, aux yeux de la gauche américaine, le mal absolu. En juin dernier, leurs têtes de géants flottaient à 100 mètres dans les airs sur un dirigeable envoyé par Greenpeace au-dessus d'un gala de levée de fonds organisé par ces "pollueurs de politique et d'environnement", accompagnées de quatre mots en lettres énormes : "Frères Koch. Argent sale".

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Idé/L'EXPRESS

Il y a cinq ans, pourtant, il avait fallu que leurs photos apparaissent dans le classement des plus grosses fortunes du magazine Forbes sur la même page qu'une star comme Oprah Winfrey pour que les médias s'enquièrent enfin de leurs vies. Charles, le plus taciturne, a alors ouvert aux journalistes son bureau de Wichita, dans l'Etat du Kansas, siège de Koch Industries ; hérité de leur père en 1967, cet empire compte aujourd'hui 70 000 employés et affiche 100 milliards de dollars de chiffre d'affaires annuel. Second conglomérat privé non coté du pays, Koch Industries possède 8 000 kilomètres de pipelines ainsi que des dizaines de centrales et de raffineries, de l'Alaska au Texas, auxquels s'ajoutent des usines de production d'objets de consommation courante aussi variés que le papier toilette et la moquette, sans oublier la viande. Le groupe possède aussi la licence mondiale du Lycra, roi des synthétiques.

L'antre de Charles Koch abrite les livres de ses mentors vénérés : F. A. Hayek, Ludwig von Mises, Leonard Read, des économistes du xixe et du xxe siècle dont les écrits sont aux sources de la mouvance libertarienne, un courant de pensée partisan d'un absolu laisser-faire capitaliste.

Les frères ont un ascendant certain sur le Tea Party

A New York, David se targue des mêmes lectures, mais il mène une vie moins austère. Avant son mariage en 1996, à 55 ans, avec Julia Flesher, fille splendide d'un roi de la ferraille de l'Arkansas, âgée alors de 32 ans, la "penthouse" du play-boy était l'étape obligée des candidates au titre de Miss America. Bien que plus bavard que son frère, il ne quitte guère son appartement new-yorkais de 800 mètres carrés sur Park Avenue, ses manoirs français de rêve et son yacht somptueux. Une routine dorée rompue seulement par ses oeuvres de philanthrope culturel, évaluées à 1 demi-milliard de dollars sur les dix dernières années, et par sa codirection de Koch Industries. "C'est la plus grande entreprise, plaisante-t-il, dont personne n'a jamais entendu parler." Jusqu'à aujourd'hui.

 David, Koch, 71 ans, baron de la pétrochimie et richissime. Son objectif: s'emparer de la droite américaine.

David, Koch, 71 ans, baron de la pétrochimie et richissime. Son objectif: s'emparer de la droite américaine.

Chip Somodevilla/Getty/AFP

Au début de novembre, une manifestation monstre intitulée "Occupy the Koch Brothers" a encerclé un centre de conférences à Washington, alors que David y clôturait deux jours de congrès de sa fondation militante, Americans for Prosperity (AFP), en proposant un toast à la mémoire de l'ex-président Ronald Reagan et en adoubant Herman Cain, qui était alors l'un des candidats aux primaires du Parti républicain, enfant chéri du fameux Tea Party. "Les Koch et moi sommes frères d'une autre mère", lança Cain à la foule, sous le regard enthousiaste de David Koch, qui l'applaudit à tout rompre.

Pour les détracteurs des deux frères, leur ascendant sur le Tea Party démontre le caractère organisé de ce mouvement prétendument spontané.

"Ils ont transformé le paysage politique républicain"

De fait, le groupe Americans for Prosperity (AFP), fondé en 2004 par David afin de promouvoir l'"éducation du public sur les questions économiques" et fort désormais de 1,5 million de militants, est antérieur à l'émergence du Tea Party. Mais l'AFP a facilité l'éclosion de celui-ci en finançant, lors des élections au Congrès de 2010, pour un montant proche de 40 millions de dollars, les candidats aux primaires locales républicaines réputés les plus proches du mouvement.

Les spots de pub à la radio dénonçaient en boucle le "socialisme de Barack Obama"

A l'époque, les spots de pub à la radio dénonçaient déjà en boucle le "socialisme de Barack Obama" : une manière comme une autre, en période de crise, de chauffer à blanc l'opinion publique... "Les actions des frères Koch et de leurs amis donateurs ont totalement transformé le paysage politique républicain, assure Rob Stein, consultant démocrate en financement électoral. Le "Grand Old Party" de naguère a cédé la place à une "grande nouvelle alliance" entre les libertariens, le Tea Party et la droite chrétienne ; tous sont unis par un sentiment de vulnérabilité économique dû à la crise, et par leur hostilité viscérale au gouvernement, à l'impôt et à Obama. Aujourd'hui, cette nouvelle alliance est la force la plus puissante de la politique américaine." Et c'est à elle que les frères Koch, épaulés par leur réseau de milliardaires amis, entendent consacrer 200 millions de dollars à l'approche de la prochaine élection présidentielle. Une somme sans précédent.

Les Koch subventionnent 17 think tanks conservateurs

Ils offrent plus encore: des idées. David et Charles ont fondé en 1977 le Cato Institute, un centre de recherche et d'analyse washingtonien fort respecté, qui prône les préceptes libertariens et des alternatives à l'interventionnisme de l'Etat. Ce fleuron intellectuel nuancé, par ailleurs opposé à l'aventure irakienne de Bush, n'est pas le seul à bénéficier des largesses des Koch.

L'Institute for Humane Studies (Institut pour les sciences humaines), par exemple, finance des bourses de recherche sur d'innombrables sujets touchant à la libre entreprise et au "trop d'Etat". Outre 17 think tanks conservateurs subventionnés par les Koch, la principale usine à idées reste le Mercatus Center : 50 analystes, économistes, anciens hauts fonctionnaires des administrations républicaines y dissèquent, dans leurs locaux de l'université George Mason, à Arlington (Virginie), les moindres réglementations publiques en vigueur afin d'en dénoncer les coûts pour la société et les entreprises, bâtissant des dossiers prêts à l'emploi à l'usage des élus du Congrès.

Les questions d'environnement préoccupent tout particulièrement les frères Koch, dont la société a été reconnue coupable dans les années 1990 de quelque 300 déversements accidentels de pétrole. Ce qui explique sans doute pourquoi leurs fondations ont versé 10 millions de dollars, en 2010, pour l'organisation d'un référendum "spontané" contre une loi californienne visant la réduction des gaz à effet de serre et l'attribution de subventions publiques aux énergies alternatives. Ces dix dernières années, les Koch auraient contribué à hauteur de 55 millions de dollars, selon Greenpeace, à une campagne de lutte contre les "mythes du réchauffement climatique", largement relayée dans les médias conservateurs et sur Internet.

Disons-le franchement, l'anticommunisme de notre père tenait de la paranoïa

L'extrémisme des Koch inquiète ? Leur credo conservateur n'est pourtant qu'un pâle reflet de celui de leur père, le patriarche Fred Koch. Né au Texas en 1900 d'un père immigrant venu des Pays-Bas et d'une mère américaine, cet ingénieur s'est installé à Wichita (Kansas) dès sa sortie du prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT), en 1922. Son premier brevet, un procédé réduisant de moitié les coûts du raffinage, lui a valu les attaques concertées des géants rivaux du pétrole américain. Ruiné par une série de procès bidon, trahi par les politiciens locaux, Fred a préféré quitter la patrie de la libre entreprise pour offrir ses services, entre 1929 à 1933, à l'Union soviétique de Staline, en mal d'expertise pétrolière !

Est-ce la honte d'avoir contribué à la puissance de l'ennemi ? Ou le souvenir de ses amis ingénieurs assassinés par le KGB ? Le consultant des rouges s'est mué en farouche anticommuniste, intégrant en 1950 le réseau de la Birch Society, un cénacle à l'origine des folies du maccarthysme, qui allait jusqu'à voir dans le président Eisenhower un agent des Soviets. "Disons-le franchement, l'anticommunisme de notre père tenait de la paranoïa", ose David Koch, dans une rarissime et ô combien tactique confidence au New York Magazine, en février 2010. L'interview visait à adoucir l'image de David, accusé de cautionner les clameurs du Tea Party contre le "complot marxiste" d'Obama.

Aujourd'hui, aux yeux de nombreux Américains, les seuls vrais comploteurs seraient David et son frère Charles। Durant la campagne présidentielle de 2012, la Maison-Blanche et la démocratie pourraient devenir leur terrain de jeu favori.

http://www.lexpress.fr/

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