09 décembre, 2011

BURKINA FASO Mutations numériques et médiacraties migratoires




Allons-nous, par saturation numérique, vers une rupture de la communication entre le sommet et la base de nos sociétés, ou bien l’espace numérique parviendra-il à rassembler gouvernants et gouvernés par l’usage d’une langue qui sera autre chose qu’une langue de bois ? Au moment où les 8e Universités Africaines de la Communication de Ouagadougou(UACO) sont en pleine activités de réflexions et de recherches, la question mérite d’être posée…

Le symbole de la Toile (le Web) qui enserre le globe nous séduit, nous donne des bouffées d’air inédites, mais il nous fait oublier la réalité de l’araignée dont le propre est d’embrasser sa victime à mort, après l’avoir caressée, balancée, étouffée. Mais aussi, après lui avoir fait passer des minutes de vagissements et de luttes somme toute passionnantes. Entre admiration et frayeur, nous autres, pays en développement consommateurs de TIC, avançons en profondeur, comme des victimes d’araignées, dans le ventre de l’inconnu, entre mutations numériques et « médiacraties » migratoires.
Selon la Presse occidentale, les mouvements sociopolitiques, au Moyen-Orient, ont été rendus possibles par l’usage facile du téléphone portable. Entre les mains des jeunes, cet outil de communication a fait plus qu’une révolution, il a créé le vide et l’inconnu… Ce qu’en une minute on peut abattre en communiquant, en intoxiquant, en mésinterprétant, en suggérant, en conditionnant, en falsifiant, en torpillant,… en une année, on ne peut le reconstruire. Or, c’est sur cette pente de tous les risques que nous place l’appétit de la numérisation intégrale. Dès que télévision et radio seront numérisées, les choses n’iront pas forcément mieux, mais elles iront plus vite, et autrement. Le bon et le moins bon iront à la même vitesse et chacun provoquera les conséquences qui sont les siennes.
Le Burkina Faso, par exemple, vient de sortir d’une crise qui, selon certains analystes, aurait été provoquée, en partie, par un déficit de communication entre la base et le sommet de la société. Est-ce à dire qu’avec plus de numérique, il y aurait plus de communication ?
Pour deux raisons, on peut en douter. D’abord, le coût de ces nouveaux outils ne sera pas forcément à la portée de nos Etats. Pour commencer, d’aucuns joueront le jeu de la « gratuité ». Mais ce ne sera qu’un jeu, car les choses sérieuses ne commenceront que lorsque nous aurons pris le goût et l’habitude de nous servir de ces « joujous ». Comme cela arrive pour l’Internet, on pourrait au moins se consoler d’une vulgarisation à moindres frais de ces technologies. Quelles que soient les dispositions qui seront prises, nous garderons à l’esprit que le long processus de numérisation est aussi un processus économique, qui fait de ses producteurs des gagnants, et de ses consommateurs, des perdants. C’est là où la solidarité africaine devrait se montrer plus forte, plus innovante, car l’urgence et la paupérisation qui nous attendent entre 2015 et 2020 peuvent être corrigées par de nouvelles formes de coopérations scientifiques entre les chercheurs africains à l’échelle de l’Union Africaine. Et ce, tout en dépassant les dimensions économiques pour embrasser ce qui est plus complexe : les dimensions éthiques, philosophique et sociétale. Une donne de l’ordre du nécessaire, d’autant plus que la cyber-guerre n’est plus une fiction et qu’elle occupe une place de choix dans la stratégie des appelés « grands pays »… Pendant ce temps, nos pays étalent leur grande vulnérabilité…
Ensuite, la numérisation intégrale n’est pas forcément porteuse d’une plus grande qualité communicationnelle entre les populations africaines et leurs gouvernants. En 1959, dit-on, un chef de village africain fut invité en France pour participer à des débats portant sur le processus de l’indépendance de son pays. Arrivé à Paris par avion, celui-ci garda le silence pendant 3 jours, après quoi il expliqua à ses hôtes visiblement trop bavards qu’il avait voyagé plus vite que son âme et que le mieux serait que celle-ci arrive à son rythme à Paris, qu’elle réintègre son logis naturel avant que lui, chef, puisse prendre la parole à haute et intelligible voix.
En plus du coût souvent élevé des produits TIC, il y a donc ce décalage à la fois temporel et culturel entre l’Afrique et le monde numérique. A peine avons-nous fini d’expérimenter un produit qu’un autre arrive, plus performant, plus beau, plus alléchant, moins cher. Ah ! Le piège ! Toujours moins cher ! L’industrie des technologies doit fonctionner, et tout ce qui en sort est en principe plus performant en termes de vitesse. Le chef africain de 1959 pouvait se tromper, nous, nous ne nous trompons pas en disant que les produits Tic inscrivent dans nos cerveaux, le rythme et la vitesse comme des signes de possession et d’envoûtement, afin que nous puissions trémousser, palpiter, vibrer comme tous ceux qui le font de l’autre côté du monde. On voudrait donc, par ce processus d’affolement, de normalisation et d’uniformisation, que le paysan burkinabé sente le monde et le vive comme un richissime européen ou américain. Il y a lieu de dire : « Trop d’honneur ! » Mais trop tard ! Il a déjà jeté dans cet immense brasier de dollars, ses maigres ressources. L’autre aspect du problème, c’est que la démocratie est aussi devenue un outil de normalisation et d’uniformisation sans frontières : une médiacratie qui doit fonctionner au rythme du numérique. Est-ce indispensable ? Promu par la médiacratie, l’enseignement se numérise, s’uniformise, se vulgarise. Il ressort de ce que nous avançons que la numérisation est sans doute un moyen puissant de domestication au service de la mondialisation, mais un couteau à double tranchant pour ceux qui courent sans avancer, qui font encore de chaque jour, un temps et un espace familiers pour la recherche de leur pain. A moins que, raison et solidarité triomphant en Afrique, nous en venions à être autosuffisants en biens de communication et en produits numériques.


Ibrahiman SAKANDE
Email : sakandeibrahiman@yahoo.fr

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