PARIS - Il est aveugle. Il marche seul depuis 35 jours, sans accompagnateur ni chien d'assistance, par monts et par vaux sur le chemin de Compostelle, entre le Puy-en-Velay et la cité galicienne.
Gérard Muller, 63 ans "l'ambassadeur de la cécité", infatigable pèlerin sur les routes du monde, en faveur de l'insertion de ceux qui ont perdu la vue, teste pour la première fois un prototype révolutionnaire de guidage électronique pour aveugles, qui pourrait assurer une nouvelle autonomie à ses millions de compagnons d'infortune.
Atteint de rétinite pigmentaire (40.000 cas en France), une maladie génétique qui s'est déclarée à l'âge de 20 ans, cet ancien pharmacien de Strasbourg a perdu inéluctablement la vue au fil des ans... La vue, mais pas l'espoir et l'amour de la vie qu'il a su garder pour le transmettre aux mal voyants.
Son handicap s'est transformé en sacerdoce.
"Seul 5% des quelque 2 millions de mal voyants français osent sortir de chez eux, avoir des activités. Là est le drame, la réclusion, l'enfermement dans le handicap", estime-t-il.
"Il y a une honte de soi-même, de l'image que l'on renvoie. Les mal voyants perdent l'amour d'eux-mêmes, plongés dans une éternelle obscurité sédentaire. Acceptez votre handicap, ne regardez pas en arrière, apprenez à vous aimer, ayez des rêves, vivez les", lâche Gérard Muller comme une profession de foi.
GPS, logiciel, boussole et indicateur vocal
L'appareil de guidage électronique dont est doté le marcheur aveugle, a été conçu par l'équipe du professeur René Farcy (CNRS-Orsay). Il n'est pas encore commercialisé, le pèlerinage de Gérard Muller devant permettre d'y apporter les derniers réglages et améliorations.
Le système consiste en un boîtier GPS fixé sur le pommeau d'un bâton de randonnée télescopique, couplé à un logiciel et à une boussole, avec indicateur vocal. Sur la partie française des 740 km du chemin de Compostelle, entre Le Puy-en-Velay (Haute-Loire) et Saint-Jean-Pied-de-Port (Pyrénées-Atlantiques), à la frontière espagnole, des milliers de points GPS (tout les 20 à 30 mètres), ont été entrés dans le logiciel.
Au fur et à mesure de sa progression sur les petits chemins champêtres, Gérard Muller, canne de randonnée dans une main et canne blanche dans l'autre, reçoit les indications concernant la distance et la direction à suivre (selon les codes de l'aviation). Exemple: "point suivant 12H (tout droit) ou 9H (à gauche) à 50 m..."
Mais évidemment, ce système n'indique pas la qualité du terrain emprunté ou les embûches inattendues.
"Je dois être très concentré, lire la route à la fois avec ce guide électronique, mais aussi avec la semelle de mes chaussures. Il m'arrive de me tromper. Le GPS corrige immédiatement ma trajectoire. Pour une bonne utilisation de cet appareil révolutionnaire, il faut donc avoir une solide formation et habitude de la locomotion sur tous les terrains, dit-il. Mais pour ceux qui voudront s'y mettre, cela s'apprend très bien".
Bon pied, bon oeil !
L'équipe scientifique qui suit de loin la pérégrination du Strasbourgeois, ne pouvait pas trouver meilleur testeur de sa découverte.
Depuis une dizaine d'années, l'ancien pharmacien a fondé une association "Y voir", pour soutenir la recherche ophtalmologique. Il a aussi organisé des randonnées en tandem (voyant/non voyant) en Europe et au Brésil.
Mais sa plus belle performance reste en 2008 sa participation à la cyclo-caravane Paris-Pékin, organisée par la Fédération Française de Cyclotourisme: 12.000 km en tandem piloté par un ami voyant, sur la Route de la Soie, dans les steppes et les montagnes d'Asie Centrale.
Il s'offre même le luxe ici et là, de faire du ski nordique ou de longs parcours de trek et de randonnée, avec amis accompagnateurs bien sûr.
Gérard Muller, "l'ambassadeur de la cécité", homme d'une rare chaleur humaine et d'un infini esprit de solidarité, démontre avec éclat qu'un aveugle peut aussi avoir... "Bon pied, bon oeil!"
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