22 août, 2011

Paludisme : mauvaise nouvelle du Sénégal

Femme-et-enfant-sous-la-moustiquaire (IRD P. Desenne La lutte anti-paludisme reste rude. Une mauvaise nouvelle nous vient du Sénégal, résultat d'une étude conduite par une équipe de l'Institut de recherche pour le développement parue dans The Lancet Infectious Diseases.

Cette étude a été réalisée dans le village de Dielmo, au sud du Sénégal, non loin de la Gambie, relativise les succès de ces dernières années. Des succès en grande partie dus à la distribution massive de moustiquaires imprégnées d'insecticide (la deltamethrine, un pyréthroïde) fabriquées selon un procédé mis au point par des chercheurs de l’IRD et du Centre Muraz au Burkina Faso et de traitements à base d'artémisinine, un médicament dérivé de l'armoise, une plante médicinale chinoise, mis au point en Chine. (photo, une femme et son enfant devant une moustiquaire imprégnée, IRD, P. Desenne).

Ces succès ne sont pas durables si l'on s'en tient à cette stratégie, montre cet article qui vient contredire les espoirs devant les résultats parfois spectaculaires enregistrés par exemple au nord du Sénégal, dans la région du Ferlo, dont j'ai parlé ici, dans un reportage sur la Grande Muraille Verte. Sechage-d-une-moustiquaire IRD T. Martin

Cette étude illustre à nouveau la pertinence de la stratégie scientifique d'étude du paludisme en Afrique menée par l'IRD par une équipe franco-sénégalaise dirigée par Jean-François Trape et Cheikh Sokhna : suivre dans la durée et simultanément l'impact de cette maladie dans des régions où elle sévit uniquement durant la saison d'été ("l'hivernage", autrement dit la saison des pluies) comme dans la régionde Niakhar et dans des régions où elle sévit toute l'année car elles sont plus arrosées, comme le village de Dielmo, au sud du Sénégal, proche d'une rivière permanente. (Photo, séchage de moustiquaire)

J'ai décrit cette stratégie dans un reportage au Sénégal réalisé en 2001 (lire ici et ici ) paru dans Libération. Cette équipe, en 2006, avait montré par une étude de grande rigueur la pertinence de traitements préventifs massifs des enfants durant la saison des pluies (lire ici un article paru dans Libération)

La recherche de cette équipe (à laquelle ont participé les Instituts Pasteur de Dakar, Paris, Madagascar et le ministère de la Santé sénégalais) publiée dans The Lancet Infectious Diseases (1) montre que deux phénomènes se sont ligués pour provoquer une recrudescence des cas de paludisme dans le village où l'action continue des équipes médicales avait obtenu de grands succès. Une recrudescence nette en septembre 2010 - deux ans après le début de l'usage massif des moustiquaires imprégnées d'insecticide.

Le premier phénomène est un effet pervers du succès : dans une population où le paludisme est Anopheles-gambiae IRD M. Dukhan endémique, les enfants qui survivent aux atteintes de la maladie en bas âge en sont protégés par une sorte d'immunité. Mais cette immunité nécessite une exposition continue au parasite Plasmodium falciparum. Si elle diminue drastiquement - par le succès de la lutte anti-moustique - les enfants plus âgés et les adultes deviennent plus sensibles aux attaques du parasite.

Le deuxième phénomène consiste en l'apparition de résistance massive chez le moustique Anopheles gambiae (photo, IRD/ m. Dukhan) à l'insecticide utilisé (la deltaméthrine).

En 2010, 37 % des moustiques sont devenus résistants à la deltaméthrine et la mutation génétique responsable de cette résistance est présente chez près de la moitié des moustiques, contre 8 % en 2007 comme le montrent des études menées après capture des insectes. Quant au parasite Plasmodium falciparum il est de plus en plus résistant à l'artémisinine . Bref : la sélection naturelle selon Darwin exerce toujours sa loi d'airain de la lutte infinie du glaive et du bouclier... parfois on aimerait que les créationnistes aient raison et Darwin tort, mais ce n'est pas le cas. Or, dès 2006, l'OMS attirait l'attention sur le danger d'utiliser seule l'artemisinine en traitement car elle affaiblit le parasite et ne le tue pas systématiquement, ce qui favorise l'apparition de résistance. D'où l'idée que, même si l'on peut toujours chercher de nouveaux glaives - un nouvel insecticide, un nouvel anti-parasite, mélanger les traitements ou les faire se succéder rapidement - la recherche d'un vaccin anti-parasite demeure une nécessité absolue.

Le paludisme, note la fiche d'actualité scientifique de l'IRD, est la maladie parasitaire la plus répandue au monde : entre 300 et 500 millions de personnes sont touchées par an, dont 90% sur le seul continent africain où l’infection est la première cause de mortalité des enfants de moins de cinq ans. A l'échelle mondiale, il tue environ un million de personnes par an, surtout en Afrique, et invalide temporairement des millions de malades terrassés par les fièvres.

(1) Référence : Jean-François Trape, A. Tall, Nafissatou Diagne, Ousmane Ndiath, A. B Ly, J. Faye, Fambaye Dieye-Ba, Clémentine Roucher, Charles Bouganali, A. Badiane, F. Diene Sarr, Catherine Mazenot, A. Touré-Baldé, D. Raoult, P. Druilhe, O. Mercereau-Puijalon, C. Rogier, Cheikh Sokhna. Malaria morbidity and pyrethroid resistance after the introduction of insecticide-treated bednets and artemisinin-based combination therapies: a longitudinal study, The Lancet Infectious Diseases, 2011.

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