21 juin, 2011

BURKINA FASO Crise à la SN-SOSUCO : « Le travail ne sera pas repris à n’importe quelles conditions », selon le DG

Depuis le 6 juin 2011, il y a un bras de fer, et pour la énième fois, entre les travailleurs de la SN-SOSUCO et leur directeur général, Didier Vandenbon. Le climat, fortement dégradé au sein du complexe sucrier de Bérégadougou, a conduit le directeur général à un exil forcé à Bobo-Dioulasso d’où il a décidé de mettre l’ensemble du personnel en chômage technique. Il faut signaler que dans la capitale économique, M. Didier Vandenbon partage depuis le 6 juin, sa résidence avec une dizaine de cadres de la société. C’est là que Sidwaya a pu le rencontrer pour s’entretenir avec lui.

Sidwaya (S.) : Monsieur le directeur général, y avait-il un si grand danger pour que vous décidiez de la suspension des activités à la SN-SOSUCO, assortie d’une mise en chômage technique des travailleurs ?

Didier Vandenbon (D.V.) : Il y avait vraiment danger ! Il y a eu plusieurs tentatives de séquestration. La gendarmerie m’a demandé plusieurs fois de quitter le site de l’usine et même mon domicile ces derniers mois. J’ai même dû quitter précipitamment ma résidence au mois de février avec mes trois enfants. C’est une situation absolument intolérable. Le vendredi 3 juin 2011 dernier, des rumeurs d’une nouvelle tentative de séquestration de Moctar Koné, mon adjoint et moi-même ont circulé et cela m’a obligé à quitter à toute vitesse le site à 9h 30 mn. Dans la nuit du dimanche au lundi 6 juin, de nouvelles rumeurs ont encore circulé sur une séquestration qui devrait avoir lieu le lundi matin. Ce jour-là dans la matinée, la voiture de mon adjoint a été bloquée. Des travailleurs ont également bloqué mon véhicule vers 7h 30 croyant que j’étais à l’intérieur. Le chauffeur a dû faire preuve d’une grande manœuvre pour s’extirper.

Le directeur financier qui est arrivé plus tard a été victime du même scénario et pire, son pare-brise a été saccagé. A partir de là, les choses ont totalement dérapé dans tous les sens. Il y a eu séquestration du personnel de l’entreprise pendant plusieurs heures. On a assisté à un incendie de motos. Des gens ont été bastonnés. Des véhicules ont été sortis illégalement de l’entreprise et des pneus volés. Il y a aussi le blocage par deux fois de la route nationale N°7 et des menaces sur les cadres de l’entreprise et particulièrement sur le directeur que je suis. L’apothéose, si je peux me permettre, a été l’incendie programmé et organisé par Abdoulaye Tiala et Sogodogo, des résidences des directeurs de la culture et de l’usine, le vendredi 10 juin. On ne peut pas considérer aujourd’hui que le site de l’usine est en sécurité malgré la présence des gendarmes. Jusqu’à nos jours, un groupuscule de personnes continue de menacer et de terroriser d’autres travailleurs et empêchent la circulation.

Il faut que les gens sachent que ce mouvement est organisé par dix leaders suivis par une quarantaine de permanents de la SN-SOSUCO. Au gré des jours, ils essayent d’enrôler les journaliers en leur promettant une embauche si la lutte portait fruit. Ce sont autant de raison qui ont poussé la direction dans son intégralité de la SN- SOSUCO à se réfugier à Bobo-Dioulasso. Elle n’y retournera que lorsque la situation sera apaisée. Le site restera fermé et aucun salaire ne sera versé jusqu’à ce que l’environnement du travail soit totalement sécurité et que l’ensemble des gens qui ont fait des débrayages sauvages, des occupations illégales, commis des délits et des crimes soient licenciés de l’entreprise.

Sidwaya (S.) : Les travailleurs qualifient ce chômage technique d’illégal car ne répondant pas à l’esprit du code de travail. Que répondez-vous ?

D.V. : Il n’y a pas de chômage technique. Ce qu’ils avancent là est archi faux. J’ai effectivement pris une note dans laquelle j’ai dit que je mettrai les travailleurs en congé puis en chômage technique pour une période de deux mois pour apaiser le climat social. Mais cette note n’a pas été appliquée, puisque nous n’avons pas pu accéder au site de l’usine, ce qui aurait permis de mettre en œuvre les congés et le chômage technique allait suivre un mois plus tard. Pour l’instant, les travailleurs ne sont pas en chômage technique. Ce que je sais par contre, jusqu’à la date d’aujourd’hui, personne ne va travailler et donc les gens ne seront pas payés pour les jours de non travail. Cela voudrait dire qu’à la fin du mois, le salaire sera amputé du nombre de jours d’absence constatée par la direction.

S. : Quelle est la situation actuelle au niveau du complexe sucrier ?

D.V. : A l’heure d’aujourd’hui, la quasi-totalité des activités sont suspendues. Nous essayons simplement d’assurer l’irrigation des champs de cannes à sucre pour sauver la campagne prochaine.

S. : Qui assure cette irrigation étant donné que les véhicules de transport des travailleurs ne démarrent plus de Banfora et que les employés vivent le chômage technique depuis le 10 janvier ?

D.V. : Nous avons le droit de faire travailler qui on veut et quand on veut. On a une équipe minimum pour assurer l’irrigation des champs.

S. : A travers votre note de suspension des activités, les délégués syndicaux vous soupçonnent de vouloir mettre en application votre plan de licenciement massif.

D.V. : Je vais être clair ! Depuis des années, nous avons jugé que les effectifs de la SN-SOSUCO étaient pléthoriques. D’autre part, nous n’avons pas trouvé nécessaire d’initier un plan social pour réduire le personnel eu égard à la pyramide des âges où on a enregistré une centaine de départs à la retraite par an. Donc la réduction des effectifs se ferait sans conséquence sociale par les départs à la retraite. C’est ce qu’on applique et nous continuons à appliquer depuis des années.

S. : Comment donc comprendre que les travailleurs vous accusent d’outrepasser l’accord conclu le 9 février en poursuivant vos réformes, notamment la sous-traitance ?

D.V. : Ils n’ont qu’à relire l’accord. Cet accord ne suspend pas quoique ce soit. Il demandait plutôt la médiation du comité de gestion du patronat, et aux travailleurs de travailler et de respecter la loi, à la direction de gérer l’entreprise correctement. En aucun cas, il n’y a eu demande de suspension d’une réforme quelconque.

S. : La campagne écoulée aurait été catastrophique. Avec ce climat malsain, est-ce qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter de la survie de votre entreprise ?

D.V. : La dernière campagne de la SN-SOSUCO s’est terminée au mois de mai avec 27 000 tonnes de sucre contre une prévision de 33 tonnes. Il est clair qu’en termes de conséquence économique pour l’entreprise, il y a un manque à gagner qui se chiffre en milliards. Evidemment, l’entreprise doit faire face à plusieurs challenges dont celui du social qui doit trouver de mon avis, une solution en interne dans les semaines à venir. Les négociations qui ont été interrompues par la volonté de quelques représentants syndicaux et non pas du personnel, vont reprendre la semaine prochaine sous la houlette du ministre du Commerce. Il y a aussi le challenge de la construction du barrage de la Comoé qui nous tient vraiment à cœur. Il y a surtout la décision de la libéralisation du marché et des importations du sucre qui a mis à mal le mécanisme de l’observatoire du sucre.

S. En cas d’accord lors des négociations qui vont s’ouvrir bientôt, seriez-vous prêt à lever votre mesure de suspension ?

D.V. : Nous sommes prêts à reprendre le travail dès demain. Il y va de la survie de l’entreprise, mais on n’acceptera pas de le faire à n’importe quelles conditions. C’est très clair.

S. : Quelles sont ces conditions ?

D.V. : La reprise du travail se fera dans la mesure où la sécurité du site, des cités et ses abords est assurée et que l’ensemble des grévistes qui représentent une minorité auraient quitté la SN-SOSUCO.

S. : Un licenciement ?

D.V. : Bien évidemment. Cela concerne des délégués, des responsables syndicaux et de certains travailleurs. Quand on pose des actes illégaux, on doit en tirer les conséquences. Je vous dis que ceux-ci mobilisent peu sur le complexe sucrier. Il y a eu un appel à une grève nationale tout récemment et moins de 5% des travailleurs ont répondu à cette grève.

S. : Savez-vous que les travailleurs continuent de réclamer votre départ ?

D.V. : A priori, la radiation d’un directeur général n’est pas du ressort des délégués syndicaux, mais du conseil d’administration. A moins qu’ils ne prennent le contrôle de la Société, c’est le conseil d’administration qui décidera et non quelques leaders syndicaux.

S. : La sous-traitance et la nouvelle grille salariale étaient-elles nécessaires dans le contexte de la SN-SOSUCO ?

D.V. : La sous-traitance n’est pas une nouveauté à la SN- SOSUCO. Déjà dans les années 70, il y a eu la sous-traitance. Elle s’est simplement accélérée ces dernières années. Lorsque nous avons constaté des difficultés à gérer les journaliers, nous mettons en sous-traitance le secteur. Pourquoi y aura-t-il un frein à la sous-traitance ? Il est de différents ordres. Le premier c’est qu’il existe un certain nombre de réseaux mafieux qui faisaient que 50% des revenus qui auraient dû être payés étaient retenus par certaines gens de la SN-SOSUCO et de l’extérieur. Le deuxième point qui pose problème est que cette sous-traitance est donnée par appel d’offres et non de gré à gré à certains leaders d’opinion qui les convoitaient. En ce qui concerne la grille salariale, elle est maintenue en termes d’avantages acquis. On n’a pas touché aux salaires. La nouvelle grille doit être discutée d’abord avant d’être appliquée. C’est ce qui était prévu, mais c’est impossible de se mettre à table avec des délégués du personnel pour en débattre.

S. : Certains travailleurs pensent que la récession que vous prônez doit toucher en premier lieu votre émolument et ceux des cadres qu’ils trouvent trop élevés.

D.V. : Vous êtes en train de dire qu’il faut diminuer les salaires de tous les directeurs et du directeur général. Je répète qu’on n’a pas touché à un seul salaire de qui que ce soit. Je ne vois pas pourquoi les cadres doivent se plier à cette exigence alors que cela n’est demandé à personne. Le problème de la SN-SOSUCO, ce n’est pas les salaires individuels, mais c’est le nombre des travailleurs pour faire tourner la Société. Nous avons un nombre aberrant pour faire tourner l’entreprise. Il y a environ 650 permanents alors que le chiffre normal voulu est entre 200 à 250. On mettra 20 ans pour y arriver, mais il faut qu’on y arrive.

S. : Le dialogue selon les délégués syndicaux n’est pas rompu. Et de votre côté ?

D.V. : Le dialogue a toujours existé, même si c’est par l’entremise du comité de médiation. Ils l’ont rompu officiellement par un courrier transmis au ministère du Travail depuis une dizaine de jours, mettant fin à la médiation du patronat. Et le patronat a confirmé par la suite qu’il se retirait de la médiation. J’attends alors de voir la semaine prochaine si le ministre du Commerce pourra rétablir un véritable dialogue.

S. : Dans ce contexte d’agitation, quelles sont les chances de reprise des activités du complexe sucrier ?

D.V. : Nous attendons les résultats de la médiation la semaine prochaine. Si les gens sont jusqu’au boutistes comme ils l’ont été jusqu’à maintenant, cela ne fera que dégrader le climat. La balle n’est pas dans notre camp, elle est dans le camp de quelques leaders syndicaux qui cherchent la bagarre après la bagarre.

Propos recueillis par Frédéric OUEDRAOGO (ouedfredo2003@yahoo.fr)

Sidwaya

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