10 mai, 2011

Le Burkina Faso se lance à la recherche du temps perdu par des jeunes qui n’en peuvent plus d’être exclus du système !

Pas facile d’expliquer ce qui s’est passé au Burkina Faso depuis « l’affaire Justin Zongo », les mutineries à répétition des « corps habillés », les « marches » contre la vie chère, les exactions des uns et des autres, le licenciement sans préavis du gouvernement Tertius Zongo, etc. On remarquera que le premier ministre en place désormais à Ouaga était… ambassadeur à Paris pendant les événements et que le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, chargé ce matin, lundi 9 mai 2011, d’expliquer aux journalistes le pourquoi et le comment de ces événements exceptionnels était, lui, en charge du dossier du Darfour pour le compte de l’ONU et de l’UA.

Deux personnalités « étrangères » à ce qui s’est passé au Burkina Faso ces derniers mois. Mais ce n’est pas ce genre de situation qui risquait, ce matin, de déstabiliser Djibrill Bassolé, le nouveau patron de la diplomatie burkinabè. Cet officier de gendarmerie, ex-ministre de la Sécurité, a connu bien d’autres moments de tension au temps de la « Révolution » et de la « Rectification » mais, aussi, sous la « démocratie » avec les affaires Zongo, Balla Keïta, les tensions entre les forces de l’ordre et l’armée dans les années passées… Reste qu’il est difficile, pour le gouvernement burkinabè, de « mettre les points sur les i » sans montrer du doigt les « i » qui posent problème.

Priorité de Bassolé : ne pas jeter d’huile (politique) sur le feu (social) qui couve actuellement au « pays des hommes intègres ». Le pays, nous dit-il, a été confronté à des « soubresauts » liés à des « revendications corporatistes » sur lesquelles sont venues se greffer le mécontentement d’une population confrontée « à des conditions de vie devenues difficiles et parfois insoutenables ». Ni les jeunes ni les « corps habillés » ne sont donc responsables de ce qui s’est passé : « les revendications étaient justes » même si les moyens employés pour obtenir satisfaction étaient « disproportionnés ». S’il y a eu des dysfonctionnements c’est entre la perception des faits par les uns et les autres et celle de la justice qui se veut indépendante.

Bassolé ne veut pas, pour autant, occulter les préoccupations politiques d’une population jeune qui est confrontée à la cherté de la vie et à des conditions de travail difficiles. Si le gouvernement de Tertius Zongo, qui « n’a pas démérité », a chuté à la suite de ces événements, c’est qu’il convenait, au niveau de la présidence du Faso, de décider de mesures permettant de « reprendre la main ». Dès lors, « le changement de gouvernement s’imposait compte tenu de l’ampleur des événements ». Et la nouvelle équipe en place a pour mission « d’apaiser le climat social », de réduire les prix des produits de base, d’indemniser ceux qui ont eu à subir des dommages, etc. Et surtout d’accroître la richesse nationale car le Burkina Faso, explique Bassolé, est un pays aux ressources limitées où nul ne peut dire que « la richesse est pas mal partagée » dès lors qu’il y a « absence de richesse ».

Il faut donc, souligne-t-il, mettre l’accent sur l’emploi des jeunes car c’est la composante jeune de la nation qui manifeste et qui proteste. Il faut dire, a-t-il ajouté, que l’environnement sous-régional marqué par la récession économique consécutive à la crise post-électorale ivoirienne a accentué les tensions sociales tandis que événements dans le monde arabe, et tout particulièrement en Afrique du Nord, ont influencé les manifestants.

Il y a, au Burkina Faso, une réalité qui s’imposait en urgence ; et cette urgence, explique Bassolé, c’était que le pays retrouve calme et stabilité. C’est pourquoi il a été donné, rapidement, satisfaction aux revendications des « corps habillés » dès lors qu’elles étaient justifiées et s’inscrivaient dans le budget de l’Etat. En fait, Bassolé nous explique que ce sont les « lourdeurs administratives » qui ont provoqué le mécontentement des militaires : les primes qui étaient dues n’avaient pas été payées. Selon lui, rien à voir avec la volonté d’aboutir à un « changement de régime ». La meilleure preuve en serait que tout est rentré dans l’ordre après que les impayés aient été… payés, « la vie chère étant la chose la mieux partagée » au Burkina Faso.

Mauvais management de l’armée, c’est pourquoi le président du Faso a décidé de gérer en direct cette affaire non pas en s’érigeant en ministre de la Défense mais en « s’investissant personnellement dans la résolution de ces questions délicates ». Bassolé, qui sait de quoi il parle, n’a pas manqué de souligner, par ailleurs, qu’à l’occasion de ces événements, les responsables politiques « avaient pris la pleine mesure » de ce qui pouvait se passer quand les soldats manifestaient.

Après la gestion de « l’urgence », le gouvernement doit restaurer équité et justice ; une justice mise à « rude épreuve » par les manifestants et à laquelle la population « ne fait plus confiance ». C’est le job du gouvernement et de personne d’autre a souligné Bassolé, affirmant, en substance, que le « dialogue » avec l’opposition était une nécessité et qu’il avait été instauré dès sa prise de fonction par le Premier ministre, mais qu’il ne fallait pas confondre les genres : c’est le gouvernement qui gouverne, pas la rue, pas l’opposition. Bassolé a rappelé que le Burkina Faso est un pays essentiellement agricole (histoire de démontrer que les « événements » ont été un fait urbain et donc minoritaire) et que l’important est de mettre en œuvre des « investissements structurants » en faveur du monde rural (« des masses rurales » dit Bassolé qui emploie là un jargon qui fleure bon le temps de la « Révolution »).

Celui qui a été ministre de la Sécurité et le patron du renseignement burkinabè entendait ce matin faire passer un « message » à Paris : le Burkina Faso n’a pas été débordé par les « événements » et est resté maître de sa sécurité intérieure. Aucun étranger, Africain ou non-Africain, n’a été « ciblé » lors des incidents ; autrement dit, et même si Bassolé ne le dit pas mais le laisse entendre, le Burkina Faso n’est pas la Côte d’Ivoire : aucun communautarisme (il refuse même la référence à des « Burkinabè de la diaspo », un concept qu’il juge « ivoiritaire », ce qui veut tout dire dans la bouche de Bassolé), aucun ostracisme vis-à-vis de l’étranger, y compris de « l’Occident ».

A quelques heures de sa rencontre avec son homologue français, Alain Juppé, ministre d’Etat et ministre des Affaires étrangères et européennes, il était important de dire combien les autorités étaient déterminées à « donner des gages que ce genre d’incident ne se reproduira plus » ; « nous y travaillons en interne » a souligné Bassolé. « Nous avons besoin de l’aide et de l’assistance de nos partenaires, et ce n’est pas le moment pour eux de nous délaisser » a rappelé Bassolé qui s’est dit « peiné » par la décision de la France de considérer la destination burkinabè comme étant à risques.

« La période est difficile, mais les difficultés ne sont pas insurmontables », a souligné Bassolé qui a dit, par ailleurs, que la présence d’AQMI dans la zone sahélo-saharienne était une « très grande préoccupation » pour Ouagadougou et que la mort de Ben Laden ne changeait rien : « ses réseaux fonctionnent et AQMI a une grande marge d’autonomie ». Sa préoccupation est la « sécurité physique » des partenaires économiques du Burkina Faso notamment dans le Nord du pays et, jusqu’à présent, les autorités burkinabè ont fait la preuve qu’elles en étaient capables. Même si la situation en Libye et les trafics d’armes afférents changent la donne sécuritaire.

Ouaga a d’ailleurs tiré un trait sur Tripoli, Bassolé ayant la correction de noter qu’il est plus facile de le dire maintenant que « le guide de la révolution libyenne » est en mauvaise posture que par le passé. Mais le patron de la diplomatie burkinabè a été clair et net : voilà bien longtemps que la Libye n’est plus un pays partenaire du Burkina Faso ; par contre la Côte d’Ivoire doit le redevenir très rapidement.

JEAN6Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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