19 avril, 2011

Portrait à venir d’un premier ministre burkinabè en pompier de service chargé d’éteindre l’incendie qui ravage la présidence du Faso.

Luc Adolphe TIAO et Tertius ZONGOIl n’a pas démérité. Et il n’a pas failli non plus. Mais c’est un job sans avenir où on joue les fusibles quand les politiques n’ont plus les moyens de leurs ambitions. Exit donc Tertius Zongo et son gouvernement moins d’un mois après que le premier ministre ait prononcé devant l’Assemblée nationale la traditionnelle déclaration de politique générale au cours de laquelle il avait affirmé que « l’échec n’est pas une option » (cf. LDD Burkina Faso 0244/Vendredi 18 mars 2011).

Zongo avait une ambition : « Bâtir, ensemble, un Burkina émergent ». Je l’avais dit alors : « les Burkinabè veulent bien bosser dur - et Zongo ne manque jamais de rendre hommage à cette détermination et cette constance dans l’effort - mais ils veulent aussi que ce boulot soit payé à tous, et pas seulement aux « promoteurs » ; et à son juste prix ».

Fallait-il aller trop vite, trop loin ? C’est en tout cas avec cet ordre de mission que Blaise Compaoré avait fait revenir Zongo de Washington, où il était ambassadeur, pour lui confier le gouvernement. « L’homme qu’il fallait à la place qu’il fallait » m’avait-il dit au sujet de Zongo avant sa nomination (cf. LDD Burkina Faso 0124/Lundi 7 mai 2007). C’était aussi une évidence pour moi dès lors que j’affirmais que le Burkina Faso devait se préparer à « passer à une nouvelle étape de son développement économique et social ».

Il est vrai que la physionomie du Burkina Faso avait changé du tout au tout et que la perspective d’une résolution de la « crise ivoiro-ivoirienne » laissait penser que la croissance pouvait être boostée dès lors que des infrastructures économiques étaient en place. Avec « les hommes qu’il fallait à la place qu’il fallait ». Trop vite, trop loin. Si la « modernité » du Burkina Faso était dans les têtes (internet oblige), elle n’était pas visible dans le quotidien des Burkinabè. Et puis, surtout, la classe politique est traversée de courants parfois contraires et ne manque pas d’apprentis sorciers, y compris dans les rangs du pouvoir.

Déjà, fin 2006, à la veille de la tenue à Ouagadougou des sommets de la Cédéao et de l’UEMOA, les policiers et les militaires burkinabè s’étaient joyeusement massacrés dans les rues de la capitale obligeant au report de ces manifestations sous-régionales. « Il n’y a aucune raison d’extrapoler » m’avait expliqué Jean de Dieu Somda, alors ministre délégué à la Coopération régionale, s’efforçant de me démontrer que c’était le résultat d’un week-end « trop arrosé » (cf. LDD Burkina Faso 0119/Mardi 26 décembre 2006).

Six mois plus tard, Zongo était nommé à la primature, Blaise Compaoré allait fêter le vingtième anniversaire de son accession au pouvoir (15 octobre 1987) et on s’acheminait, tranquillement, vers le cinquantenaire de l’indépendance dont la célébration a préoccupé le gouvernement tout au long de l’année 2010. Ah, j’oubliais : il y a eu aussi la présidentielle du 21 novembre 2010 ; mais, finalement, les Burkinabè ont aussi fait l’impasse sur cet « événement » qui n’en était pas un. On me le disait alors à Ouaga et ailleurs au Burkina Faso : les Burkinabè sont reconnaissants à Blaise de les avoir amenés là où ils se trouvent actuellement même si, eux, ont fait la route à pied ; c’était bien, mais il faudrait sans doute passer à autre chose tout en se posant la question de ce que pouvait être cet « autre chose ». C’était donc Blaise par défaut.

A Ouaga, la présidentielle ivoirienne a occulté la présidentielle burkinabè dont on savait qu’elle serait sans surprises. Mais quand le second tour ne se déroule pas dans les urnes, il y a de fortes chances qu’on se retrouve dans la rue ; plus encore quand les politiques (y compris ceux de l’opposition) sont à côté de la plaque. A Tunis, Ben Ali est tombé parce qu’un policier d’un bled de province a été assez « con » pour confisquer sans raison l’étal d’un vendeur des rues. Et les commentateurs se sont gaussés quand les manifestants ont choisi le mot d’ordre de « dignité ». C’est pourtant bien de cela qu’il s’agit. En politique, comme en économie, tout se joue toujours à la marge ; reste à savoir, socialement, où elle se situe.

En 1987, il était évident que le Burkina Faso avait été au-delà de la limite acceptable. Blaise avait appelé cela la « rectification » ; un mot juste. D’autant mieux que cette « rectification » conduira à la « démocratisation » et que les Burkinabè y trouveront un avantage social. Reste la marge. Entre le Ouaga de la « révolution » et le Ouaga de la « rectification », le dialogue était possible. Entre le Ouaga de la « démocratisation » et le Ouaga 2000 de la « corruption » (ce qui peut s’apparenter à une corruption ostensible : 4 x 4 et berlines de luxe, villas monumentales, commerces et restaurants pour « riches », etc.), le dialogue devient plus difficile quand les « hommes intègres » prônent la rigueur pour ceux qui sont nés dedans et n’en sont pas sortis depuis.

Globalement, le Burkina Faso des « grands équilibres » et des « grands chantiers », de la « stabilité politique » et de la « diplomatie active » peut bien se porter ; à la marge les Burkinabè s’exaspèrent. Et comme la vie politique et sociale ne leur permet plus d’exprimer leur exaspération, nécessairement il faut bien que le couvercle saute à un moment où à un autre. Il a sauté le 20 février 2011 à la suite de la mort, pour des « causes controversées », de Justin L. Zongo, élève du lycée privé Kaboré Gesta de Koudougou. Tabassage pour les uns, maladie pour les autres. Tertius Zongo, dans sa déclaration de politique générale avait dit ce qu’il fallait dire quand on est premier ministre : « Nous devons également réfléchir aux problèmes de fond dont ces événements ne sont que les révélateurs. Ils concernent aussi bien le fonctionnement des services de l’Etat, y compris ceux du maintien de l’ordre, que les relations entre les citoyens et le système judiciaire, le développement politique et économique de notre pays, l’offre d’opportunités éducatives et d’emplois pour notre jeunesse, notre conception de la liberté et le comportement citoyen pour la préserver et l’approfondir ».

Mais les mots sont parfois insuffisants pour guérir les maux dont souffrent les populations. Depuis la mort du jeune Zongo, le Burkina Faso est confronté à des situations de crise dont l’ampleur ne cesse de s’accentuer. Les manifestations des lycéens et des étudiants ont conduit, finalement, à la mutinerie des camps militaires, y compris celui du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) qui se trouve dans l’enceinte même du palais présidentiel, à Kosyam. Ce qui ne manque pas d’étonner, le président du Faso ayant reçu tous les « corps habillés » qui avaient pris de multiples engagements et formulés plus encore de promesses et d’excuses. Le ras-le-bol social prend donc des allures de coup de force et certains laissent penser que tout cela pourrait déboucher sur un coup d’Etat.

Les chefs militaires sont dégagés en touche ; ce qui est la moindre des choses. Le gouvernement est viré, premier ministre en tête, ce qui laisse penser qu’il a fauté ; et même s’il n’a pas fauté, faut bien un fusible puisque, dans cette affaire, Blaise est le seul élu du peuple et qu’il tient de l’élection au suffrage universel sa légitimité. Hier, Sidwaya écrivait que Compaoré est « devenu médiateur direct entre son Etat et son peuple », faisant référence bien sûr à l’agacement du « peuple » confronté aux multiples « médiations » que le président du Faso n’a cessé de conduire depuis un bon bout de temps, partout en Afrique de l’Ouest. Cela tombe bien : le nouveau premier ministre, Beyon Luc Adolphe Tiao, mettait la dernière main à son ouvrage intitulé : « Les médiations de Blaise Compaoré. Construire la paix par la sagesse africaine ». Exercice en vraie grandeur. Le voilà promu pompier chargé d’éteindre l’incendie qui ravage la présidence du Faso. On ne peut que lui souhaiter de réussir.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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