13 avril, 2011

L’actionnariat populaire, une opportunité pour l’Afrique de l’Ouest

Le rôle du marché financier et particulièrement de la BRVM est de mobiliser l’épargne sous - régionale dans le souci prioritaire de financer à coût réduit, le développement des entreprises et des Etats, donc, des économies des pays membres. Comment faire de la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) une source supplémentaire de financement qui participe de façon efficace au développement des économies dans l’espace UEMOA ? Une solution possible pourrait être l’actionnaire populaire.

Dans le contexte africain, l’actionnariat populaire peut paraître voué à l’échec. Mais il pourrait être aujourd’hui un des axes majeurs du développement des marchés financiers africains car cet actionnariat semble rencontrer une véritable adhésion populaire, en particulier auprès des cadres urbains. Mais son succès dans des pays comme le Sénégal ou le Botswana, doit surtout aux politiques. Ils y ont vu l’instrument nécessaire à la mise en place des privatisations. Favoriser la participation de la population à l’introduction en bourse d’une société permet à la fois d’atteindre des objectifs économiques et politiques – de gagner durablement le soutien populaire tout en développant de nouveaux produits d’épargne.

1. L’actionnariat populaire, un outil pour financer le développement

Une étude récente conduite par Grout et Alii (2009) dresse un panorama de l’actionnariat populaire dans les pays développés et en développement. Si les résultats individuels sont très certainement discutables – du fait de l’absence de données fiables dans de nombreux pays – l’analyse d’ensemble est pertinente. Les taux de pénétration des marchés boursiers dans la population sont compris entre 10 et 20 % pour les pays développés, entre 2 et 8 % pour les pays émergents (ou d’Europe orientale) et entre 0 et 3 % pour les pays pauvres. La situation africaine, telle qu’elle apparaît dans cette étude, est dans l’ensemble difficile, mais bien peu conforme aux à priori (un pays comme l’Afrique du Sud compte proportionnellement plus d’actionnaires que l’Espagne) sont tout à fait honorables comparés à ceux de pays à revenus moyens. Ces chiffres sont d’autant plus intéressants qu’ils s’appliquent à des pays où les écarts de richesse sont très importants et où l’investissement à travers des fonds ou des structures collectives de placement – les principaux vecteurs de l’investissement boursier dans les pays développés – est rendu difficile voire impossible du fait de la faible sophistication des marchés. Les études de corrélation montrent d’ailleurs, de manière assez contre-intuitive, que la plupart des déterminants macroéconomiques influencent peu le succès de l’actionnariat populaire dans un pays : c’est particulièrement le cas pour le coefficient de Gini, notamment, qui mesure les écarts de revenus. Le seul critère influent est le PIB par habitant, porté dans les pays riches par les très forts taux d’actionnariat.

Une vision « obligataire »

Le phénomène de l’actionnariat populaire en Afrique – bien que d’ampleur encore limitée – est donc une réalité. Cet actionnariat s’est développé dans un environnement difficile : ces places boursières émergentes sont peu liquides et par nature risquées, les taux d’épargne de ces pays sont très faibles – même si l’épargne informelle, difficile à estimer avec précision, est significative.

Là encore, malheureusement, il n’existe que très peu d’études sur les comportements des actionnaires individuels africains. Les données issues des expériences de terrain donnent néanmoins quelques indications sur leur identité ; il s’agit principalement de cadres urbains, appartenant à la classe moyenne – voire aisée –, travaillant aussi bien dans le secteur public que dans le privé. Pour la grande majorité d’entre eux, cet investissement est vu comme un placement à long terme, destiné à fournir des revenus réguliers, sous la forme de dividendes, permettant ainsi de constituer un pécule pour la retraite.

Cette vision quasi « obligataire » de l’investissement en actions se reflète dans certaines grandes caractéristiques des bourses africaines : taux de rendement sur dividendes très élevé (trois à quatre fois plus qu’en Europe) et souvent supérieur au marché monétaire, liquidité très faible. Le sentiment qui lie ces actionnaires à l’entreprise est beaucoup plus fort qu’en Europe – comme en témoignent les taux de participation très élevés aux assemblées générales.

Cette conception de l’actionnariat, toutefois, a tendance à évoluer depuis quelques années, à la faveur du développement des margin loans (prêts permettant l’achat d’actions), proposés massivement au Nigeria. Ce type de financement favorise naturellement des logiques et des comportements « de court terme », et peut créer un risque systémique majeur dans des marchés peu liquides. La crise récente de la bourse au Nigeria, largement causée par les margin loans, devrait d’ailleurs conduire les régulateurs à plus de rigueur. Quoi qu’il en soit, d’une manière générale, l’investissement boursier en Afrique reste un produit d’épargne longue attractif et adapté aux caractéristiques du continent, dans un univers financier ne proposant que très peu de choix au petit épargnant.

2. L’actionnariat populaire au service d’objectifs politiques

Le développement de l’actionnariat populaire africain est essentiellement le résultat de la volonté politique – celle, en particulier, qui a permis la mise en oeuvre dans les années 1990 et 2000 de programmes de privatisation inspirés par les grands bailleurs de fonds. À l’image de pays comme la France à la fin des années 1980, de très nombreux gouvernements africains ont ainsi utilisé l’arme boursière pour promouvoir leur programme de privatisation et y associer la population.

La Côte d’Ivoire enregistre dans les années 1990 une vingtaine d’opérations de ce type ; le Sénégal, le Kenya, le Nigeria, la Zambie et le Ghana mettent en place des opérations similaires – ce qui explique, pour le Ghana, le taux particulièrement élevé d’actionnaires. Si les montants levés sont modestes – proportionnés à la taille de ces économies –, la cible reste la même : le grand public. L’introduction en bourse de l’ONATEL au Burkina Faso au début de l’année 2009 illustre bien les raisons qui poussent les autorités de ces pays à soutenir autant l’actionnariat populaire.

L’ONATEL, entreprise nationale de télécommunications en position de monopole, est partiellement cédée en 2006 à Maroc Telecom (groupe Vivendi) dans le cadre d’une opération de privatisation. Cette société rentable, renommée, fleuron du secteur public, était le candidat idéal pour une introduction en bourse, mais sa cession à un groupe étranger a provoqué un intense débat politique au Burkina Faso. L’opération d’introduction en bourse a donc été envisagée par les autorités autant comme une opération financière (l’État a cédé 20 % de son capital via cette méthode) que comme une opération de communication politique et de promotion de l’identité nationale. Elle s’est accompagné d’une grande campagne audiovisuelle tournée principalement vers le grand public – visant autant à justifier l’opération de privatisation qu’à promouvoir ONATEL – à qui ont été proposés alors des conditions de prix préférentielles (« l’ONATEL aux Burkinabès ») et un accès prioritaire aux actions.

L’opération, qui visait à lever 29 milliards de francs CFA (un peu plus de 44 millions de dollars canadiens), pilotée évidemment par la seule société de bourse nationale – la SBIF – a été un succès : le taux de sur souscription a été de 140 %, et 73 % des fonds levés ont été placés au Burkina Faso auprès de 3300 actionnaires locaux. Ce dernier chiffre peut paraître faible, pour un pays de 14 millions d’habitants ; mais il devient respectable s’il est comparé au nombre de burkinabé titulaires d’un emploi formel – seulement 200 000 personnes qui ont, pour la plupart, un salaire mensuel à peine supérieur au prix d’une action ONATEL (environs 85 $ CAD). L’objectif a donc été parfaitement atteint : l’ONATEL est redevenue, dans l’esprit des Burkinabè, une « société nationale ». Une partie non négligeable des citadins aisés, désormais actionnaires, se sentira donc associée aux succès de l’entreprise. Aucune action promotionnelle classique n’aurait pu obtenir ce résultat – la force du lien actionnarial (et des dividendes) assurant au message une rare longévité.

Conclusion

Dans un contexte de contraintes financières l’organisation d’un marché financier régional permet une allocation efficiente des ressources dans la perspective de l’intégration économique.

Du point de vue économique, la diversification des systèmes financiers permet de mieux amortir les chocs aussi internes qu’externes. L’existence d’un marché des capitaux favorise une meilleure mobilisation de l’épargne intérieure et permet de canaliser cette dernière vers les investissements à haut rendement. Le marché financier régional constitue un vecteur de croissance et d’incitation à une bonne gestion.

C’est un outil appréciable pour le financement long des entreprises et un moyen de rappel dans la zone, des capitaux placés à l’étranger et de placement des excédents de trésoreries des ménages et des investisseurs institutionnels. Aujourd’hui encore, l’Afrique reste pauvre et très peu bancarisée. Le développement d’un actionnariat populaire nécessite l’existence de marchés financiers relativement sophistiqués mais aussi une capacité d’épargne élevée de la part de la population – son implantation peut donc, en Afrique, sembler vouée à l’échec. Cependant, malgré ce contexte difficile, l’actionnariat populaire constitue pour la plupart des gouvernements et des autorités boursières des pays en développement l’un des principaux axes de renforcement de leurs marchés financiers. Il pourrait aussi être utiliser comme un véritable outil de communication au service des programmes de privatisation. Si, bien peu d’études se sont attachées à étudier l’actionnariat populaire dans ce contexte, il semble pourtant essentiel d’en analyser l’importance. Il s’agit de ne pas négliger, alors, sa dimension politique et de montrer comment – par divers biais – il peut éventuellement favoriser le développement des pays les plus pauvres.

Gino ALAVO Chargé d’études chez Médicis Consulting Cotonou-Paris


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