26 avril, 2011

Beyon Luc Adolphe Tiao : Un nouveau départ pour le Burkina Faso

Professeur de philosophie dans la banlieue parisienne, Jacques Batieno livre une réflexion sur le fondement philosophique du pouvoir politique et analyse les ressorts socio-économiques des évènements récents qui ont secoué le Burkina. Il voit dans la nomination de Luc Adolphe Tiao comme Premier ministre un choix judicieux, l’homme étant selon lui à la hauteur des enjeux auxquels notre pays est confronté, c’est-à-dire le retour de la paix sociale, la réduction de la fracture sociale et la lutte contre la corruption.

L’histoire des grandes démocraties est faite de heurts et de soubresauts. C’est une histoire qui se fait et qui avance avec des crises sociales et des bouleversements politiques importants. Lorsque la crise sociale intervient, et la France constitue un exemple du genre (il suffit pour cela de se rappeler les importantes manifestations que la France a connues dans son histoire récente), elle a irrémédiablement un impact sur le politique car, en général, elle est la conséquence de décisions politiques. La crise est alors l’expression d’un mécontentement, d’une contestation qui peut aller jusqu’au désaveu du pouvoir politique en place. Aussi, faute de voir la tête de l’exécutif (le président de la république lui-même) tomber, fait-on sauter quelques fusibles, qui peut aller du simple ministre au premier d’entre eux, et donc à la dissolution du gouvernement.

Si la tête de l’exécutif ne saute pas, même si celui-ci voit sa légitimité fragilisée, c’est qu’il a un mandat électif qui court, ce qui n’est pas le cas du premier ministre et, partant, du gouvernement qui sont nommés à la discrétion du président de la république. C’est la loi imparable de la démocratie. Le plus loin que puisse aller le président de la république, qui ne démissionnera jamais, même s’il le pourrait (ce qui est très rare), c’est de dissoudre l’assemblée nationale.

Dans ce que j’appellerai des démocraties de moindre étoffe qui frisent la dictature, la crise sociale est l’occasion d’une répression dans le sang jusqu’à étouffement de la crise. C’est alors une guerre ouverte entre l’autorité politique et le peuple ou la frange du peuple qui entre en insurrection. C’est ce qui se passe en Lybie ou en Syrie, pour prendre un exemple proche de nous dans le temps. Mais si la crise persiste, c’est la tête même de l’exécutif qui finit par tomber après être passé par la dissolution du gouvernement dans une tentative ultime et désespérée pour sauver sa tête. C’est ce qui s’est passé en Tunisie et en Egypte, pour prendre encore des exemples récents.

Or il se trouve que la situation de crise sociale récente au Burkina Faso se dénoue de façon très proche de la description que nous avons rattachée aux grandes démocraties, et très éloignée de celle rattachée aux dictatures. Faut-il alors penser que cette crise et son dénouement sont révélateurs de l’état de démocratie avancée qui règne au Burkina Faso ?

De la démocratie au Burkina Faso

Ce sous titre à lui seul pourrait faire l’objet d’un livre et, sans doute, faudra-t-il y songer un jour. Dans l’immédiat, nous voulons tirer les conséquences politiques, liées à la démocratie, de la crise sociale en cours au Burkina. Depuis plusieurs semaines en effet, la démocratie burkinabè est profondément ébranlée, mise à mal par des mutineries, manifestations, revendications, contestations, etc. Situation des plus banales qui est le lot de toute démocratie digne de ce nom (en dehors de la mutinerie). Cette situation qui s’est aggravée au fil des jours et des semaines offrait au Président Blaise Compaoré, en tant que démocrate, deux alternatives : soit dissoudre le parlement afin de vérifier la ténacité de sa légitimité par une reconquête de la majorité parlementaire. Il s’agirait alors de remettre en jeu sa majorité dans l’objectif d’un plébiscite. Si éventuellement la majorité était perdue, alors le Président serait en droit de nommer un Premier Ministre hors de ses rangs, et on aurait fait l’expérience de la cohabitation. A contrario, s’il avait reconquis la majorité, sa légitimité aurait été encore renforcée par un plébiscite avec un aveu de confiance. Mais, ce choix de la dissolution du parlement n’a pas été fait et, qui plus est, à bon droit, pour la simple raison que cela n’était pas nécessaire. En effet, le président Compaoré vient d’être réélu à la tête du Burkina Faso il y a moins de six mois avec un score très honorable, n’en déplaise à certains. La question de la démission n’était pas non plus à l’ordre du jour puisque, justement et c’est un fait, il a un mandat légitime qui lui a été donné par le peuple burkinabè.

Soit, et c’est la deuxième alternative, le président Compaoré faisait le choix de la dissolution du gouvernement, et c’est ce qui a été fait. Cette décision qu’il faut saluer, a été bien inspirée. Certes, c’est le moins que le Président du Faso pouvait faire, mais c’est la marque des grands hommes d’Etat qui sont à l’écoute de leur peuple. En effet, les mouvements populaires auxquels nous avons assistés au Faso ne sont que l’expression du désaveu d’un exécutif qui avait été reconduit presqu’à l’identique, alors que les burkinabè espéraient un exécutif profondément renouvelé au lendemain de l’élection présidentielle. C’est dire que la dernière dissolution du gouvernement permet au Président du Faso de corriger une erreur (car en démocratie les erreurs politiques sont sanctionnées par les électeurs ou le peuple) et de rectifier le tir.

De plus le dialogue direct initié par le Président Compaoré avec l’ensemble de la société civile et l’armée, permettant de désamorcer la situation, fut réjouissant. On peut alors tirer les conclusions suivantes : d’abord, en écoutant son peuple et en dissolvant le gouvernement, Blaise Compaoré n’a fait qu’appliquer la démocratie que l’économiste Hayek et le philosophe Popper définissaient comme étant la possibilité pour le peuple de changer de gouvernement si celui-ci ne donne plus satisfaction.

Ensuite, ce qui est louable, en dehors des erreurs graves de la police aux premières heures de la crise liée aux évènements du jeune Zongo, il n’y a pas eu de violence imputable à l’Etat vis-à-vis des manifestants. Il n’y a pas eu d’ordre donné afin de charger les manifestants ou d’entrer en confrontation directe et physique avec eux. Il n’y a pas eu de répression dans le sang des manifestations (comme c’est le cas en Lybie et en Syrie par exemple). L’Etat burkinabè a été bien inspiré de ne pas adopter ces méthodes d’un autre temps qui sont la marque de la dictature. Le contraire aurait donné aux détracteurs du pouvoir de Blaise Compaoré, qui n’attendaient que cela, l’occasion et de bonnes raisons de le dénigrer encore plus. Les seules situations de violence que l’on a remarquées étaient des violences internes aux manifestations. Certes, on peu déplorer des insuffisances de l’Etat quant à sa capacité à protéger les populations civiles lorsque celles-ci étaient prise à partie par les militaires, mais on peut estimer que cette situation a permis au Burkina Faso de faire montre d’une avancée démocratique non négligeable.

On pourrait multiplier les situations au Faso justifiant de cette avancée démocratique (ce pays en effet depuis deux décennies au moins a connu des progrès importants sur le plan politique, économique et culturel, et sa bonne réputation internationale est connue de tous) mais ce serait nous éloigner de notre propos qui consiste à analyser la crise sociale et ses conséquences politiques. Ajoutons aussi que même si le Burkina Faso connaît un essor bénéfique, il y a encore beaucoup à faire. La fracture sociale est de plus en plus importante et des problèmes structurels de gouvernances persistent. C’est le grand chantier qui attend le nouveau Premier Ministre.

Beyon Luc Adolphe Tiao, pour un nouveau départ

Il ne faut pas effacer d’un revers de la main le travail qui a été effectué par le précédent premier ministre, Tertius Zongo. Sans connaître véritablement l’homme, au regard de son œuvre à la tête du gouvernement burkinabè, je veux reconnaître le grand homme qu’il est. Un homme de détermination et d’action qui avait la noble idée de faire du Burkina Faso un pays qui compte dans le concert des nations. Son bilan est plus qu’honorable. Je pense même avoir entendu dire que c’était le meilleur premier ministre que Blaise Compaoré ait jamais eu. Les progrès du Burkina Faso dont j’ai fait cas sont aussi à mettre à son actif. Mais la réalité politique étant ce qu’elle est, il arrive que même les meilleurs donnent au peuple l’impression d’être à bout de souffle. Le peuple a alors l’impression d’une stagnation, se sentant mis à l’écart des retombées du développement. Il est alors nécessaire de donner une nouvelle impulsion à l’exécutif, une autre orientation à la gouvernance avec de nouveaux hommes. C’est ce qui vaut la nomination de Beyon Luc Adolphe Tiao qui, disons le clairement et c’est le moins que l’on puisse dire, hérite pratiquement d’une patate bien chaude.

Une armée indisciplinée, c’est une démocratie en péril

Le nouveau premier ministre devra, en effet, commencer par faire avec une armée nationale qui s’est fait dernièrement remarquer par son indiscipline. Ce qui n’est pas sans fortement ébranler, voire faire chanceler, la démocratie burkinabè. On peut alors se poser la question de ce qu’a encore de républicain une armée qui est à l’origine du désordre que l’on a connu. Monsieur Tiao n’est pas sans savoir la place importante de l’armée dans le dispositif politique en général et celui du président Compaoré en particulier. Une armée burkinabè qui a déjà subi une réforme importante et qui, visiblement, en a encore besoin. Le nouveau Premier Ministre a conscience du devoir qui est le sien de faire en sorte que l’armée soit, avant tout, confinée dans ses fonctions régaliennes, car une armée qui, dans un excès de colère, s’en prend aux populations qu’elle devrait normalement protéger n’est pas une armée digne de ce nom.

Cela dit, cette colère est l’expression d’un malaise profond et de bien des frustrations au sein de cette grande muette qui, visiblement, ne l’est plus. Je ne me permettrai pas de spéculer d’avantage sur le cas de l’armée car il y a certainement des choses qui nous échappent, nous du dehors. Bien évidemment, il convenait de l’écouter et de la rassurer. C’est ce qui a été fait par le président du Faso. Mais si cela a contribué à apaiser les esprits et à faire baisser la tension dans l’immédiat, il y a encore un travail important à effectuer afin de faire comprendre à l’armée que ce type d’agissement porte une atteinte grave à la démocratie. Le fait que le président du Faso lui-même prenne en charge le ministère de la défense dans le nouveau gouvernement est la marque d’une volonté de sa part de prendre personnellement en charge les problèmes de l’armée. Le président de la république et son premier ministre sauront faire en sorte que cette armée devienne une armée responsable et réellement républicaine. Mais ce mécontentement de l’armée n’est que la partie émergée de l’iceberg, car il y a un malaise social plus général et profond au Burkina Faso.

TIAO, l’homme de la situation !

Si les différentes mutineries de l’armée ont permis de pointer du doigt les problèmes internes à cette institution, cela n’est que l’arbre qui cache la forêt de la fracture sociale au Burkina Faso. Dans cette perspective, pour ma part, la désignation de Beyon Luc Adolphe Tiao comme premier ministre peut être rassurant, car il est vraiment l’homme de la situation. Comme son prédécesseur, c’est un esprit moderne. En effet, pour avoir eu l’occasion de côtoyer quelque peu l’homme durant son séjour à Paris comme ambassadeur du Burkina Faso, et pour avoir eu l’occasion d’échanger avec lui sur la situation sociopolitique au Burkina Faso, je sais que c’est un homme qui a pris toute la mesure des problèmes de la société burkinabè, et de l’étendue de sa charge. Il a conscience du bien fondé des revendications sociales, il a conscience que la crise est profonde et structurelle, et que le Burkina Faso a besoin d’être réformé jusque dans ces institutions et les hommes qui les dirigent ces institutions.

En effet, l’on avait fini par s’installer dans une situation de stabilité politique et sociale qui devenait à tel point confortable que l’on était devenu aveugle à la fracture sociale qui se creuse de plus en plus, et autiste pour ne pas entendre le mécontentement et frustrations de la population. L’avantage du nouveau premier ministre, c’est qu’il a pu observer et entendre tout cela de l’extérieur, je veux dire de l’extérieur du gouvernement. Il a conscience de la réalité de la vie sociale quotidienne difficile pour la majorité des Burkinabè. Il a conscience que la corruption est un problème récurrent dont se plaignent les Burkinabè, une corruption qui gangrène notre société et qui met a mal la justice et l’équité, gages de toute démocratie en bonne santé.

Cette corruption elle-même est directement liée aux différents abus de pouvoir dont sont victimes les petites classes qui sont les plus nombreuses. C’est pourquoi il faudra imposer un code moral aux directeurs généraux de l’administration et aux chefs de services qui doivent rendre des comptes ; et qu’un contrôle permanant puisse être fait du bon fonctionnement des services de l’Etat. Par conséquent il y a un travail de fond à faire afin de changer les mentalités jusqu’au sommet de la fonction publique. Ce qui suppose une nouvelle gouvernance, plus proche des populations les plus faibles et les plus fragiles. Il faut une politique plus sociale car on n’en fait jamais assez sur ce plan dans un pays comme le Burkina Faso. C’est l’ambition qui motive le Premier Ministre Tiao, qui a pour lui cette qualité essentielle, la disponibilité à l’écoute pour une action concrète loin des verbiages creux.

Il en a fait la démonstration, en effet, à Paris en tant qu’ambassadeur. Proche de ses compatriotes, l’homme n’hésitait à aucun moment à inviter les burkinabè à débattre et à échanger sur les grandes questions qui concernent la situation sociopolitique de notre pays. Les uns et les autres pouvaient s’exprimer en toute liberté et il entendait tous les avis avec un esprit critique et ouvert à la critique, écoutant jusqu’aux positions qui lui étaient opposées, y répondant pour manifester son désaccord, mais aussi, lorsque des remarques justes et objectives étaient faites touchant le bon fonctionnement de l’Etat, il les prenait en compte avec la promesse d’en informer qui de droit. Au total, c’est un homme de dialogue, qui n’a pas le consensus moue, qui a une haute estime de son pays et de ses habitants, et qui sait être très proches des gens toutes classes confondues. Pour tout cela, je dis que c’est l’homme de la situation pour réconcilier le Burkina Faso avec lui-même, après cette escalade de mutineries et de contestations populaires somme toute légitimes.

Cela dit, la tâche sera rude et il y a tant à faire, car Tiao prend ses fonctions dans une situation sociale en pleine déliquescence. Mais, n’est pas là la marque des grands hommes ? Celle de relever les défis et de les gagner. Ce challenge auquel est confronté l’homme Tiao, il s’y était préparé depuis un certains temps. Car, contrairement à beaucoup, j’avoue n’avoir pas été surpris par sa nomination. Il suffit de prendre connaissance de son prochain livre, lorsqu’il sortira et c’est pour bientôt, pour comprendre que l’homme a une parfaite connaissance de la trajectoire et des projections politiques du président du Faso. C’est dire la symbiose de vue qui existe entre les deux hommes. A cela, il faut ajouter sa parfaite connaissance du Burkina Faso et les vrais problèmes qui minent sa société. Ce challenge donc, il saura le relever et le gagner. Il sait que ce que demandent actuellement les Burkinabè, c’est de pouvoir travailler, bien manger, bien se soigner, aller à l’école sans difficultés, sans se soucier du lendemain.

Je me souviens encore lorsqu’à son arrivée à Paris, le recevant dans le cadre d’une association burkinabè dont je fais partie, et ayant été désigné pour lui adresser le mot de bienvenue, je lui disais « Excellence, vous êtes l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. » Je pense, aujourd’hui encore, être en droit de lui dire, « Monsieur le premier ministre, vous êtes l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. » Souhaitons donc à l’homme toute la réussite avec une marge de manœuvre sans retenue. Souhaitons que Beyon Luc Adolphe Tiao soit un nouveau départ pour le Burkina Faso, après ces longues semaines de crises sociopolitiques.

Jacques Batieno
Docteur en philosophie
Professeur de philosophie

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