27 février, 2011

Le «chien fou du Moyen-Orient»

cyberpresse.ca

René Beaudin, collaboration spéciale
Le Soleil

(Québec) Ainsi donc, le colonel Kadhafi a choisi de mourir en martyr, plutôt que d'être chassé du pouvoir en Libye. En fait, il ne se donne pas vraiment le choix. C'est un homme pour qui le pardon n'existe pas, pour lequel il n'y aura pas de pardon, et il le sait.

Quel pays, y compris et surtout dans le monde arabe, voudra accueillir Kadhafi, même dans le contexte d'une hypothétique «sortie de crise», après son «feu vert» explicite donné au carnage que l'on connaît en Libye? Il est la persona non grata par excellence.

«Le Grand Frère Mouammar», parce que tel est l'un des surnoms dont il aime être affublé, est encore plus isolé que ne l'étaient ses deux voisins, les ex-présidents Ben Ali et Moubarak, en Tunisie et en Égypte, à la veille de leur chute.

Ces derniers ont finalement renoncé à la répression à outrance ou à la guerre sans merci, bref, à tirer sur le peuple, et ont jeté le gant. Ben Ali a pu trouver refuge en Arabie Saoudite, Moubarak, pour sa part, coule des jours heureux à Charm El-Cheikh, dans son propre pays.

Kadhafi s'est lui-même désigné comme un «homme à abattre», pour ses opposants, par la répression d'une rare sauvagerie à laquelle ses derniers partisans semblent se livrer à Tripoli. Plus d'une centaine de personnes blessées lors des récentes manifestations auraient ainsi été abattues de sang-froid dans des hôpitaux de la capitale, encore sous son contrôle. La chose est vraisemblable. Une précédente révolte, en 1996, dans les prisons libyennes, s'est soldée par la mort de 1200 détenus, abattus pendant la répression en tant que tel, ou par vengeance, après. Cette tragédie, dit-on, a durablement marqué la société libyenne.

Jadis grand défenseur de la cause palestinienne - en tout cas quand il misait sur elle pour se poser comme chef possible du monde arabe aux yeux duquel cette même cause est, en principe, une «cause sacrée» -, Kadhafi lui a finalement tourné le dos quand l'ex-dirigeant Yasser Arafat a refusé de traquer et de supprimer ses propres opposants hors de Libye. Il a alors fermé les bureaux de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) de ce même Arafat à Tripoli, coupé tout subside versé jusqu'alors à cette même OLP, et expulsé tous ses militants.

En 1995, au lendemain de la signature des accords d'Oslo, entre l'OLP et les Israéliens, Kadhafi a expulsé 30 000 Palestiniens de Libye pour «punir» Arafat.

En septembre 1970 pourtant, il se voulait le héraut de ces mêmes Palestiniens. Lors du sommet arabe tenu au Caire pour débattre de l'écrasement alors en cours de la résistance palestinienne par le roi Hussein de Jordanie, Kadhafi avait alors littéralement réclamé l'internement du jeune monarque, son arrestation immédiate, menottes aux mains ou enfermé dans une camisole de force.

«Seul un fou peut ordonner d'ouvrir le feu sur son propre peuple», avait alors tonné le bouillant colonel, en précisant qu'«ils étaient tous cinglés dans cette famille», allusion à l'abdication du père d'Hussein, le roi Talal, en 1951 pour «incapacité mentale».

Pour mettre fin à ce débat, l'hôte du sommet, le président égyptien, Gamal Abdel Nasser, mi-figue, mi-raisin, avait proposé que, «les choses se passant comme elles se passent dans le monde arabe, l'on se mette tous sous observation psychiatrique».

Nasser est mort quelques jours plus tard et sa proposition est restée lettre morte. Cela n'a pas empêché, 15 ou 16 ans plus tard, le président américain Ronald Reagan de désigner Kadhafi comme le «chien fou» du Moyen-Orient, et ce, bien avant le massacre des prisons libyennes ou des hôpitaux de Tripoli. Que dirait-il aujourd'hui?

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