24 février, 2011

Dans les hôpitaux pakistanais, des femmes stériles volent des nouveau-nés

AFP/Archives

Nazima Bibi dans un hôpital d'Islamabad, le 3 janvier 2011

Ecrasée par le chagrin et terrassée par le cancer, Nazima Bibi, 35 ans, est morte dix jours après qu'une femme lui a volé sa fillette de cinq ans dans un hôpital du Pakistan, où ce phénomène en hausse inquiète les autorités.

Elle était assise sur un banc avec son fils nourrisson lorsque l'inconnue a soudain emmené sa fille hors de la salle d'attente, profitant du désordre créé par la foule bruyante des patients.

Nazima était trop faible pour pouvoir la poursuivre ou crier "au voleur!" dans le Pakistan Institute of Medical Sciences (PIMS), l'un des deux plus grands hôpitaux publics de la capitale Islamabad, où elle était venue faire soigner son cancer.

De chagrin, elle a refusé de manger, et s'est laissée mourir.

"Je ne veux pas vivre sans ma fille. Rendez-la moi s'il vous plaît et je pardonnerai à cette criminelle, ou bien je mourrai à l'hôpital", avait-elle déclaré à l'AFP peu auparavant. "Ma Rabiea, où est ma princesse Rabiea ? Je ne peux pas boire d'eau, je ne peux pas manger sans elle, je veux juste la voir", criait-elle sur son lit d'hôpital.

"De plus en plus d'hôpitaux font état de vols d'enfants et de nouveau-nés", souligne Nazir-ul-Hassan, le directeur adjoint du Bureau de la police nationale, qui s'en inquiète sans pour autant les recenser.

La fondation Edhi, la plus célèbre ONG du pays, a recensé l'an dernier une quarantaine de rapts de nouveau-nés déclarés dans des hôpitaux, contre une trentaine en 2009. Au moins 16 cas de 2010 ont été confirmés à l'AFP par des hôpitaux des sept plus grandes villes de ce pays de 170 millions d'habitants.

Selon les autorités locales, la stérilité de certaines femmes, et le prix souvent inaccessible des traitements pour y remédier, expliquent cette inquiétante tendance, dans une société conservatrice où la honte s'abat sur celles qui ne peuvent avoir d'enfants.

"La plupart de ces vols sont perpétrés par des femmes stériles qui ne veulent pas décevoir leur mari et leur famille" qui attendent d'elles des enfants, explique Masood Safdar, porte-parole d'un hôpital de Rawalpindi, dans la banlieue d'Islamabad. "Elles sortent de l'hôpital avec un enfant en affirmant qu'elles en sont la mère, alors qu'elles le volent", ajoute-t-il.

Naima Hassan, une psychiatre d'une agence de l'ONU au Pakistan, confirme que la stérilité est la première cause de ces enlèvements. "Les femmes veulent éviter que leur mari ne demande le divorce", note-t-elle.

Rukhsana Parveen a donné naissance l'an dernier par césarienne à une petite Fatima à Rawalpindi. Mais lorsqu'elle s'est réveillée, le bébé avait disparu du lit. "Cela m'a rendu folle, mis hors de moi", se souvient-elle.

Par chance, elle a retrouvé sa fille un an et deux mois plus tard après que la voleuse a tenté d'enlever un petit garçon dans le même hôpital.

Les gardes ont fermé les portes du bâtiment dès l'alerte donnée, et capturé la coupable et le nouveau-né qu'elle emmenait, ce qui a permis de retrouver Fatima.

"Pendant tout ce temps, j'ai vécu l'enfer. Nous avons beaucoup prié, et remercions Dieu de nous avoir réunis", explique le père de la petite Fatima, Ghulam Razik.

Dans l'hôpital de Masood Safdar à Rawalpindi, la sécurité a été renforcée pour éviter de nouveaux enlèvements de bébés, les mères devant désormais montrer leurs papiers d'identité et une autorisation spéciale avant d'emmener leur nouveau-né, souligne le porte-parole. Mais plusieurs cadres de l'établissement soulignent que dès qu'elles sortent de l'hôpital, les mères restent à la merci de gangs criminels, également impliqués dans ce trafic.

Raja Shafique Sarwar, porte-parole d'un hôpital de Karachi, la mégalopole du sud, en est bien conscient: "Des dizaines de femmes accouchent et sortent de l'hôpital chaque semaine. Que peut-on faire si on leur vole leur bébé après?

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