08 janvier, 2011

A l'heure de la crise, Abidjan s'accroche à un semblant de normalité

ABIDJAN (AFP)

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Des clients d'un bar à Abidjan, le 7 janvier 2011

Jean-Philippe ne connaît pas la crise. Les clients affluent au "Grand Bao", sa buvette à Abidjan. Mais ce semblant de normalité ne dissipe pas sa crainte car le pays est plongé dans la tourmente et comme beaucoup en Côte d'Ivoire, il vit désormais "au jour le jour".

"Le chiffre d'affaires n'a pas baissé", se réjouit ce patron de "maquis", l'un des modestes bars-restaurants de plein air qui fourmillent à Abidjan, situé dans le quartier de Marcory (sud).

A l'ombre de deux grands arbres et au rythme saccadé du zouglou ivoirien craché par une sono poussée à fond, des jeunes calés dans des chaises en plastique mangent un morceau en buvant des bières à l'heure du déjeuner.

A une table, on débat bruyamment de l'impasse politique et des deux hommes qui se disputent la présidence depuis l'élection du 28 novembre, le chef de l'Etat sortant Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, reconnu par la communauté internationale.

La capitale économique a été secouée par des violences qui à travers le pays ont fait au total autour de 200 morts, selon les Nations unies. Et les efforts de médiation patinent, laissant planer la menace d'un conflit armé.

Jean-Philippe se sait chanceux car d'autres secteurs d'activités pâtissent du blocage actuel. "Avec les boissons, les gens se disent qu'ils peuvent oublier les soucis", lâche-t-il.

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Des clients d'un bar à Abidjan, le 7 janvier 2011.

Mais "on ne sait pas ce que l'avenir nous réserve. On est obligé de vivre au jour le jour. Je ne mets pas mon argent à la banque en ce moment. Mon argent est sur moi, on ne sait jamais", confie-t-il.

Partout à Abidjan, après des semaines en état d'apesanteur, la vie reprend petit à petit son cours, les marchés sont pleins, mais dans certains métiers on fait grise mine.

Jean-Baptiste, agent immobilier de 30 ans, traîne au maquis car "au bureau les clients se font rares". L'heure n'est pas à la souscription d'emprunts à long terme.

"Mon souhait le plus ardent, c'est que les deux (rivaux), on les écarte et qu'on mette quelqu'un de neutre, un technocrate", dit-il.

"C'est le peuple qui paie les pots cassés, eux ils s'en +foutent+", accuse-t-il d'un ton exaspéré.

A la table voisine, le chargeur de son fusil posé près d'une bouteille de bière, un soldat en uniforme, visiblement irrité, lance à une journaliste de l'AFP: "Vous n'avez pas besoin d'interroger les gens pour savoir que ça ne va pas!"

Juste à côté du maquis, Isabelle guette les clients à l'entrée de sa boutique de bonbonnes de gaz.

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Des clients dans un bar d'Abidjan, le 7 janvier 2011.

Faute d'approvisionnement régulier pour cause de désorganisation du pays pendant de longues semaines, elle a vu ses revenus chuter. "Mais ça va un peu", assure-t-elle en prenant la monnaie d'un jeune homme qui vient de lui acheter une cigarette. Elle en vend à l'unité comme les chewing-gums posés sur son petit étal en bois.

"Tout a repris, l'activité économique a repris, mais intérieurement on sait que ça ne va pas. Ca n'est pas ce qu'on a l'habitude de vivre", dit la jeune femme, se disant "stressée" pour elle et sa famille.

Le long d'un grand axe menant au quartier de Marcory, les visages souriants de Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara s'affichent encore sur les panneaux électoraux datant de l'entre-deux tours. Vestiges d'une époque où de nombreux Ivoiriens croyaient que le scrutin, historique, les sortirait d'une décennie de tourments comme d'un mauvais rêve.

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