30 janvier, 2011

COTE D’IVOIRE : Il faut éviter l’affrontement

popxibaar.comLa Côte d’Ivoire est à la croisée des chemins। Si ce pays sort de la crise dans laquelle l’ont plongé les dernières élections présidentielles, il ne sera plus le même pays। Les changements qui vont s’y opérer dans les mentalités comme dans les comportements seront d’un impact certain sur son avenir। La nature de cet impact dépendra cependant de la solution qui sera trouvée pour démêler le nœud emberlificoté constitué par les différents problèmes qui se sont agrégés autour de ce pays, principalement durant les dix dernières années, et que les dernières élections n’ont fait qu’exacerber - sinon réveiller, pour certains d’entre eux qui s’étaient endormis sous l’effet de la routine. L’effet Gbagbo ? …
Ces problèmes ne sont pas principalement politiques, ni d’ailleurs économiques, pour sûr.
Leurs natures sont telles qu’un climat politique des plus apaisés et une prospérité économique sans nuages ne suffiraient pas à en faire oublier les pesanteurs sur les relations entre les gens, les groupes, les régions, les religions, les ethnies. Cela dit, nul ne saurait les hiérarchiser, entre les questions ethniques, religieuses, ethno-religieuses en certaines circonstances, culturelles, sociales. Ils ont toujours constitué, rien qu’en eux-mêmes, un cocktail explosif, une poudrière au-dessus de laquelle ne devrait scintiller une étincelle. Il aura fallu des circonstances historiques particulières et surtout un homme particulier, Houphouët-Boigny, pour mettre avec maestria sous éteignoir toute velléité particulariste débordante parmi les 62 ethnies recensées, tenir sous contrôle les frustrations des uns, les envies dominatrices des autres afin de construire le pays. Au prix d’une autocratie politique plutôt débonnaire dont on n’a découvert que plus tard les excès en matière de répression violente…


COTE D’IVOIRE : Il faut éviter l’affrontement
L’effet Gbagbo avait le mérite, à défaut d’avoir fait décoller un pays aux potentiels économiques énormes, d’avoir mis entre parenthèses cinq ans d’exacerbation meurtrière des antagonismes sociaux et politiques réveillés par les différentes crises des débuts des années 2000 :
-La crise institutionnelle intervenue suite à la mort d’Houphouët-Boigny, quand Alassane Ouattara, Premier ministre, avait tenté de s’opposer à l’arrivée au pouvoir du président de l’Assemblée nationale Henry Konan Bédié comme le prévoyait sans équivoque la Constitution ivoirienne (cela conduira au «bannissement», par ce dernier, du leader du futur Rdr) ;
- le coup d’Etat de Robert Gueï, peu après pour enlever le pouvoir à Bédié qui avait, il faut le dire, brandi une torche au-dessus de la poudrière avec sa malicieuse trouvaille, l’«Ivoirité» ;
- l’élection présidentielle de 2002 «à l’organisation calamiteuse» - selon le mot même de son vainqueur- qui a porté Gbagbo au pouvoir ; suivie peu après de l’assassinat dans son village de Robert Gueï que les différents clans en Côte d’Ivoire imputent chacun à l’autre, aux autres.
- last but not least, la rébellion conduite par les Forces nouvelles (Fn), sous la férule de Guillaume Soro, en 2002, et qui aura toutes les conséquences que l’on sait aujourd’hui, dont la plus dramatique est la partition, depuis huit ans, du pays des lagunes en deux, le Nord, avec comme centre névralgique Bouaké, sous contrôle de la rébellion, et le Sud resté loyaliste administré par le pouvoir central, aux mains de Laurent Gbagbo, l’unique président élu de Côte d’Ivoire depuis son accession à l’indépendance, il y a cinquante ans.
Comment ne pas inventorier dans les éléments de cristallisation des antagonismes et rancoeurs susmentionnés les interventions sanglantes d’armées et de mercenaires étrangers qui, à côté des propres exactions des groupes armées locaux, ont écrit quelques pages parmi les plus noires de la saga macabre que vit la Côte d’Ivoire depuis dix ans – notamment, quand l’armée française a tiré devant l’hôtel Ivoire sur une foule de jeunes gens, certes, en colère mais désarmés, en tuant 64, selon la plus modeste des comptabilités insupportables faites sur cette affaire depuis. Saga qui ne devrait en aucune façon, et sous aucun prétexte, reprendre son train infernal.
Or, et l’on n’a pas besoin de se rendre en Côte d’Ivoire (ce que nous avons tenu à faire afin de nous forger une opinion propre…) pour se rendre compte que l’on n’est pas loin d’une explosion de violence qui convoquera à nouveau tous les ingrédients ayant servi à concocter le banquet sanglant des dix dernières années que nous n’avons voulu que survoler pour des raisons évidentes de décence et de parti-pris volontaire pour l’apaisement d’une tension que ses propres protagonistes appellent de tous leurs vœux, malgré les rodomontades de part et d’autre. Ce qui a rapproché la Côte d’Ivoire d’une explosion semblable ou pire à ce que nous venons de rappeler, c’est la dernière élection présidentielle, calamiteuse, encore plus que celle de 2000, organisée dans un pays coupé en deux – c’est tout dire. Mais c’est surtout la gestion catastrophique qui est faite du contentieux qui en a découlé, par ses arbitres naturels : ce que l’on nomme «La communauté internationale », les organisations interétatiques africaines (Union africaine, Cedeao, Uemoa), les pays voisins de la Côte d’Ivoire, la France, ancienne puissance coloniale (mais ne faut-il pas la compter dans la Communauté internationale ?), l’Onuci (même interrogation que précédemment) etc.
Faut-il revenir sur les péripéties ayant marqué l’élection avant d’en faire un imbroglio juridique inextricable ? Ratiociner sur la proclamation hors délai des résultats provisoires par le président de la Cei au Qg du candidat Ouattara ? S’interroger sur la précipitation du représentant de l’Onu, M. Choy, à valider les mêmes résultats ? Ausculter la constitution ivoirienne, le code électoral ivoirien pour statuer sur la décision de Paul Yao Ndré en procureur ou en avocat du président du Conseil constitutionnel ? Et les bourrages d’urnes au Nord, les morts qui ont voté de l’autre côté ? Sauf à l’intention de spécialistes en quête d’éléments jurisprudentiels, de chercheurs et d’historiens, ce serait noircir inutilement des pages.

Il n’y a pas les anges d’un côté, les démons de l’autre
Le problème auquel la Côte d’Ivoire fait face aujourd’hui, avec «deux» présidents de la République, convaincus tous deux d’avoir été élus par une majorité d’Ivoiriens est bien connu de tout le monde, il s’appelle un contentieux électoral. Un ami, ancien officier supérieur de l’armée sénégalaise parle, lui, de «processus électoral inachevé», et sur sa jolie formule, il pose une évidence : «la solution de l’intervention militaire préconisée par la Cedeao est disproportionnée pour ce genre de problème». Apparemment, l’Ua a pensé la même chose qui a envoyé le premier médiateur sur place, l’Ancien président sud-africain, Thabo Mbeki. Ce dernier, après avoir fait le tour des protagonistes du processus électoral, a fait ce qu’on attendait de lui. Il a produit un rapport détaillé de ses discussions avec ces derniers, y a joint ses observations personnelles, avant de conclure par des recommandations devant, de son point de vue, permettre de trouver une solution négocié. Ce rapport, livré à son commanditaire, l’Union africaine, n’a jamais été publié par l’organisation et donc est très peu connu par la presse africaine qui en parle peu, et à notre connaissance, seulement au Cameroun et au Ghana d’où l’ex-président Jerry Rawlings réclame sa publication par l’Ua qui hésite on ne sait pourquoi - le Populaire en dispose d’une copie obtenue auprès d’un diplomate sénégalais et vous en propose les conclusions ci-contre ; il gagnerait certes à être publiée in-extenso, nous en étudions la possibilité, malgré sa longueur. Une phrase forte en ressort qui mérite d’être méditée par nous tous : «Il faut prendre soin de ne pas présenter la crise ivoirienne comme étant un conflit entre les bonnes gens et les mauvaises gens». Et Mbeki de conclure ce chapitre en affirmant que « cela rendrait l’idée d’un accord négocié beaucoup plus difficile». Mais qui veut d’un accord négocié ?
Avant même la fin de la mission de Mbeki, les dés étaient apparemment jetés pour une communauté internationale qui, selon toute vraisemblance, avait voté Ouattara, et les pressions idoines ont dû peser sur l’Ua. Les empressements de la presse internationale à tenir pour acquis l’élection de ce dernier avant même la fin du processus électoral, ne démentent pas les accusations de complot des partisans de Gbagbo, qui font remonter celui-ci à «dès après son élection», avec les tentatives de coup d’Etat, «le soutien de la France et du Burkina Faso à la rébellion». Ce qui a remis ce réquisitoire contre la France au-devant des discours du camp Gbagbo, c’est le rôle pris par la France dans l’amplification des demandes un peu hâtivement formulées de départ du pouvoir de Laurent Gbagbo.

La France, un défouloir qui l’a bien cherché
Dès la proclamation des résultats provisoires par la Cei dans les conditions que l’on sait, ces demandes avaient commencé. Quand le Conseil constitutionnel s’est emparé du dossier pour invalider ces derniers – il est vrai contre les attentes d’une opinion publique internationale unilatéralement informée-, la demande est devenue impérative avant de passer injonctive, puis menaçante. En Côte d’Ivoire, aujourd’hui, une bonne partie de la population vit mal l’ultimatum donné à Gbagbo de «quitter le pouvoir sous quarante-huit heures», Blaise Compaoré sur le perron de l’Elysée, après une réunion avec M. Sarkozy, disant «Le Burkina Faso prendra ses responsabilités en Côte d’Ivoire» ; les menaces d’intervention militaires formulées par la Cedeao étaient déjà encouragées par la France
En plein dans un contentieux électoral de type classique, et bien connu en Afrique, surtout, le régime en place en Côte d’Ivoire, qui fait face à des menaces d’intervention militaire, est soumise à des sanctions économiques -qui font déjà leurs effets sur des populations inquiètes et bien malmenées économiquement par la routine des dix dernières années où le chômage a augmenté, la construction d’infrastructures stoppée, l’industrialisation ralentie, les exportations diminuées pour cause principalement de rébellion au Nord – ses dirigeants sont invités à rendre le pouvoir ou à passer devant le Tribunal pénal international. Gbagbo, lui, tenant bien en main ce qu’on appelle les attributs du pouvoir, ses instruments, se sentant assiégé, développe des réflexes compréhensibles de défense. Ses partisans utiliseraient plus volontiers le terme autodéfense, car la rhétorique révolutionnaire qui gravitait autour du discours depuis ce qui est considéré comme une hostilité déclarée de la France de Sarkozy avec le massacre perpétré par Licorne, la force d’intervention française à l’hôtel Ivoire, est en plein dedans maintenant.
Nous l’avons vécu pendant une semaine durant laquelle nous ne pouvions pas négliger de nous balader sans pygmalion, ni guide trop bien intentionné, de jour comme de nuit dans un pays qui vit une crise réelle et visible, mais donnant une image de pays qui fonctionne. Elle peut être trompeuse, mais elle est réelle. Avec le taximan sénégalais que je connais bien, pour l’avoir pris avec moi lors de mes derniers séjours en Côte d’Ivoire – en particulier en août 2010 lors de la célébration du cinquantenaire de l’indépendance-, nous sommes allés manger un ceep à Treichville, voir une amie ni sénégalaise ni ivoirienne mariée à un Ivoirien dans son quartier résidentiel, je suis allé seul, la nuit, avec un taxi inconnu, manger une glace à «Planet BMW», ni au centre-ville, ni près de la résidence où je logeais.


Les remparts de Gbagbo

COTE D’IVOIRE : Il faut éviter l’affrontement
Là où mon contact en Côte d’Ivoire chez qui j’ai été introduit par un ami depuis Dakar m’a fait loger, «pour des raisons de sécurité», affirmera-t-il, alors que je souhaitais aller à l’hôtel où j’avais mes habitudes, je croiserai essentiellement les partisans de Laurent Gbagbo, c’était le calcul de Sita, une petite femme vive de 26 ans, membre du Congrès de la jeunesse panafricaine pour la paix (Cojep) de Charles Blé Goudé. Un personnage ! Ancien leader, truculent et charismatique du mouvement étudiant et qui a laissé des souvenirs au Campus de l’université d’Abidjan, dans la suite des Guillaume Soro, populaire et controversé –il fait, lui, depuis 2006, l’objet de sanctions internationales qui l’empêchent de voyager-, son mouvement, apolitique et massif lui a fait franchir les portes du gouvernement de Laurent Gbagbo. Ministre de la Jeunesse et de l’Emploi, il fait office de ministre de la Propagande dans la posture de résistance où s’est placé le gouvernement Fpi –dont il aime à rappeler qu’il n’est pas un membre-. Dans la suite du dossier que nous ouvrons sur la Côte d’Ivoire, nous publierons une grande interview exclusive du «Général» comme le surnomment ses troupes exaltées aux ordres. Il s’y livre un peu, et défend bec et ongles son camp ; mais avec plus de mesure que lors d’un meeting monstre, coloré et guerrier - où prendra la parole le général Mangou, Chef d’état-major de l’Armée ivoirienne-, véritable démonstration de force sur laquelle nous reviendrons.
Quand arrive la voiture qui vient nous chercher à l’aéroport d’Abidjan, une petite femme en descend. Elle est habillée d’une ample robe aux couleurs des rastafaris, Black, Red, Gold and Green et s’est ceint la tête aux mêmes couleurs. Elle s’excuse du retard pris à arriver, engueule une de ces faunes propres aux aéroports africains qui s’était agglutinée autour de nous et fait embarquer nos valises. Dans sa voiture, nous sommes accueillis par une musique de Bob Marley que nous avons de la peine à écouter. Sita parle, parle. De Gbagbo, des Français, des dirigeants africains, de la révolution. Elle conduit d’une seule main, l’autre servant à nous interpeller quand nous semblons distraits, inattentifs. Elle conduit parfaitement bien comme ça. «J’avais 15 ans quand Gbagbo est arrivé au pouvoir, j’ai 26 ans aujourd’hui, depuis onze ans il nous a parlé des Français, il a façonné nos mentalités». Elle met son doigt sur sa tempe en disant cette dernière phrase : «ça peut pas sortir de nos têtes, ça. Nous sommes les enfants de Gbagbo».
Ça ne faisait que commencer, nous étions partis pour cinq jours d’un voyage à Gbagboland sur Abidjan d’où nous reviendrons avec les idées bien changées sur une Côte d’Ivoire où se joue une partie qui déborde ses frontières, et où paradoxalement, dans le camp de Gbagbo, on compte encore sur le Sénégal «pour aider un voisin dont la maison brûle».
À partir de lundi, un grand reportage sur un pays où, c’est ma conviction personnelle, mais il en faut plus pour en convaincre les Ivoiriens, la Cedeao ne peut intervenir. Nous en verrons ensemble les raisons dans nos prochaines éditions.
Pape Samba KANE ( Envoyé Spécial à Abidjan)

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