31 janvier, 2011

Al-Jazira: un contre-pouvoir qui fait trembler des régimes arabes

Le bureau d'Al-Jazeera au Caire, le 30 janvier 2011
AFP/Mohammed Abed

Par Wissam Keyrouz

DUBAI

La chaîne al-Jazira, interdite dimanche en Egypte, s'impose comme un formidable contre-pouvoir faisant trembler par sa couverture des protestations les gouvernements arabes qui l'accusent d'attiser la contestation.

Le ministre égyptien sortant de l'Information Anas el-Fekki a ordonné l'interdiction de la chaîne satellitaire, qui a largement couvert les manifestations anti-gouvernementales.

La chaîne a réagi en condamnant cette décision et en affirmant qu'elle visait à "censurer et faire taire les voix du peuple égyptien".

Outre une couverture exhaustive des protestations, la chaîne a diffusé samedi un appel de cheikh Youssef Al-Qardaoui, théologien qatari d'origine égyptienne et mentor des Frères musulmans, réclamant le départ du président égyptien Hosni Moubarak.

"Les gouvernements arabes accusent al-Jazira de mobiliser la rue, et ils ont bien raison, mais cette accusation est à l'honneur" de la chaîne, estime l'universitaire émirati Abdel Khaleq Abdallah.

"Il ne fait pas de doute qu'Al-Jazira a été un acteur important dans la révolution tunisienne et dans les manifestations qui se produisent en Egypte", ajoute-t-il.

La chaîne, née fin 1996 par la volonté du Qatar, un riche émirat gazier du Golfe, n'en est pas à ses premiers déboires avec un régime arabe en raison de sa couverture.

Le président yéménite Ali Abdallah Saleh, dont le pays a connu des manifestations anti-gouvernementales jeudi, avait ainsi appelé au téléphone l'émir du Qatar, cheikh Hamad ben Khalifa Al Thani.

Il lui avait demandé "d'intervenir auprès d'Al-Jazira pour calmer le jeu et de ne pas avoir recours à la provocation, à la falsification des faits et à l'exagération" dans sa couverture des manifestations, selon l'agence officielle yéménite Saba.

Les détracteurs de la chaîne lui reprochent d'être la caisse de résonance des islamistes extrémistes et de ne pas être impartiale.

Pour l'analyste libanais basé à Londres Abdallah Badrakhan, la couverture des protestations en Egypte par Al-Jazira a été différente de celle des premiers jours de la révolution tunisienne.

"En Tunisie, Al-Jazira a accompagné la rue, alors qu'en Egypte, elle a été à la traîne" des événements, estime M. Badrakhan.

"Lors des premiers jours, elle a montré qu'elle n'était pas disposée à traiter la question égyptienne de la même manière qu'elle avait traité le soulèvement en Tunisie", avant de renforcer sa couverture, a-t-il ajouté.

Il a estimé que ce serait peut-être lié au fait que "le Qatar venait de se réconcilier avec le président égyptien" Hosni Moubarak. Le Caire avait accusé Doha d'utiliser la chaîne satellitaire pour critiquer sa politique, notamment ses relations avec Israël.

Alors que la rue avait commencé à bouger au Caire, la chaîne donnait encore l'exclusivité à la couverture de ses révélations sur la position de l'Autorité palestinienne dans les négociations avec Israël, qui ont suscité une vive controverse.

Le principal négociateur palestinien, Saëb Erakat, avait accusé la chaîne de se prêter à "une campagne visant l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) dans le but de renverser l'Autorité palestinienne", après ses révélations selon lesquelles les négociateurs palestiniens étaient prêts en 2008 à des concessions sur Jérusalem-Est et sur le droit au retour des réfugiés de 1948.

A Ramallah en Cisjordanie, des manifestants ont même brûlé des photos de l'émir du Qatar ainsi que des emblèmes d'Al-Jazira associés à des drapeaux israéliens.

Les activités d'Al-Jazira avaient déjà été suspendues en octobre au Maroc. La chaîne avait également eu des problèmes avec la Jordanie et Bahreïn.

Le site de la chaîne en anglais: http://english.aljazeera.net/

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