29 décembre, 2010

Médecine traditionnelle au Lorum Les merveilles des savoirs locaux

Considérée à tort ou à raison comme une médecine de seconde zone, la médecine traditionnelle tente de se frayer un chemin dans le paysage sanitaire au Burkina Faso. A Bouna et à Koumna Koudgo, dans la commune de Ouindigui, province du Lorum, Rasmané Rogmnoma Komi et Adama Tao forcent l’admiration. Ces tradithérapeutes s’évertuent à sauver des vies humaines dans un contexte où les accidents de la circulation constituent une cause importante des consultations des services de santé. Zoom sur une pratique dont la renommée commence à franchir les frontières du Burkina. !

Juillet 2010. 9 h 30 mn. La concession de Rasmané Rogmnoma Komi refuse du monde. Après plus d’une heure de route pour rallier Titao à Bouna, distante de 12 km dans la commune de Ouindigui, l’entrée du village est infranchissable. Le barrage de Tollo a débordé. Des motos abandonnées au bord de l’eau, une charrette chargée de matériels et des vélos parqués dans une argamasse un peu plus loin, confirment la difficulté du passage en ces lieux.

« Ces engins ont été abandonnés ici, par des usagers qui cherchaient à rallier Bouna. Leurs propriétaires ont traversé l’eau à pied pour aller en soins chez le rebouteur », rétorque un usager. "N’essayez pas de traverser, c’est dangereux. Il y a des zones où l’eau vous atteint la poitrine », souligne un autre, après moults actions, des péripéties à couper le souffle, l’espace du rebouteur s’offre comme une délivrance. Des cris de douleur annoncent les traitements. Ici, cris stridents et pleurs constituent le quotidien du rebouteur. « Souvent, il faut s’armer de courage pour faire le travail. Nous sommes obligés de maintenir souvent les patients par la force. Cela dépend des cas à traiter. Souvent, l’on est obligé d’user de la force pour ramener les os dans leur cavité. Mais au final le sourire est au bout des lèvres du patient », note le rebouteur, très occupé dans sa tâche.

Non loin de là, interné dans une case, Seydou Konfé est au repos après le passage du guérisseur. Visiblement soulagé, le sourire aux lèvres, il confie : « Cela fait un mois et demi que je suis ici après un accident de la circulation. J’ai eu une fracture ouverte à la jambe droite et je n’arrivais pas à me tenir debout. Mais de nos jours, j’arrive à marcher à l’aide d’une seule béquille ». Dans une autre case, assis sur une natte, Ali Ganamé est en pleins soins. Chauffeur à Bamako, au Mali, cet homme, la trentaine bien sonnée, le regard évasif, semble satisfait de son traitement. Il raconte sa mésaventure. Fracturée également en plusieurs endroits dont le pied droit, des suites d’un accident de la circulation, il a été admis en ces lieux. Après être passé par plusieurs rebouteurs avant d’atterrir à Bouna , suite aux conseils d’un ami, Ali se dit rassuré : « A mon arrivée ici, je n’avais aucun espoir de guérison. Mon pied était complètement infecté.

L’on pouvait voir les os de mon pied et la plaie allait de mal en pis, au jour le jour. On m’a amené ici sur civière. Aujourd’hui, je me sens mieux ». Ce mieux-être est un signe d’espoir : « J’ai grand espoir que tout ira bien. Si j’avais eu connaissance de ce guérisseur à temps, je n’allais pas perdre mon temps ailleurs. J’ai hâte de retrouver mon camion et s’il plaït à Dieu, cela se réalisera ». Une réalité confirmée par Assane Bélem, enseignant dans la province du Yagha, qui dit être passé par les services de santé avant de se retrouver à Bouna.

Du côté des accompagnateurs, c’est le même son de cloche. La confiance et l’espoir sont au rendez-vous. Après quelques jours passés avec son frère, Kaligueta Konfé, est rassurante : « Nous avons confiance en son travail (le rebouteur). Nous avons été conseillés par des anciens patients. Et nous n’avons pas hésité à faire le déplacement de Bouna. » Pour l’Infirmier-chef de poste de Bouna, Moustapha Sondo, le guérisseur entretient de bonnes relations de collaboration avec les services de santé. Selon lui, il n’hésite par à leur référer des cas d’infections.

Un autre lieu, une même pratique. A une trentaine de kilomètres de Bouna, Koumna-Koudgo, une bourgade de quelques centaines d’habitants. Dans ce village de la commune rurale de Ouindigui, les concessions sont vidées de leurs bras valides, en cet après-midi d’hivernage. Une première grande pluie vient d’annoncer le début de la campagne agricole. Talonnées par le temps, les populations se bousculent aux portes des champs. A Wobda-Yiri, un quartier du village, une ambiance particulière règne. Assis à l’ombre des arbres ou au flanc des cases, des groupes de femmes et d’enfants s’affairent à occuper le temps. A l’intérieur des cases rondes et des maisons sans bois, une vingtaine de malades restent préoccupés par des questions de santé.

Ici, deux frères, Adama et Souleymane Tao, assurent les soins. Maintenus sur des nattes à l’aide de bandes d’étoffes savamment reliées à des piquets au sol pour les uns, le membre immobilisé à l’aide de bâtonnets pour les autres, les patients sont astreints à rester immobilisés pendant des jours. Quotidiennement, les frères Tao assurent les soins. « A chaque fois qu’il y a un déplacement à faire, nous veillons à ce qu’un d’entre nous assure la permanence », rassure Adama, l’aîné.

Un savoir ancestral transmis de génération en génération…

Chaque année, ce sont des centaines de personnes qui viennent se confier au rebouteur de Bouna. Du haut de ses quarante six ans de pratique, Rasmané Komi s’est fait connaître dans le paysage de la médicine de la province du Lorum. Ses patients viennent du Mali, du Bénin, du Togo, de la Côte d’Ivoire, avec des problèmes de fractures ou de luxations.

Certains patients sont obligés de faire des décharges auprès des services sanitaires pour rejoindre Bouna. D’autres en revanche, plus nombreux, s’y réfèrent directement. Membre de l’Association des tradipraticiens du Lorum et de l’Association burkinabè pour la culture, l’environnement et le développement, M. Komi affirme détenir ce savoir de ses grands parents. Une tradition qui se transmet de génération en génération. A l’origine, la famille Tao de Koumna Koudgo, les oncles maternels de son arrière-grand-père. Celui-ci y aurait eu le secret du reboutage.

Il se serait ensuite, installé à Bouna pour se mettre au service de la communauté. « Redonner l’espoir à celui qui l’a perdu est une satisfaction morale qui guide notre action », souligne Rasmané Komi. De Bouna à Koumna Koudgo en passant par les villages de la contrée, ce savoir est considéré comme un label à sauvegarder. Ousseini Zorom, est vigile à Abidjan, victime d’une double fracture du tibia, séjourne, depuis quelques semaines, à Koumna-Koudgo. « Après avoir fait la radiologie dans une clinique de la place et admis à des soins pendant 1 mois et sans succès, j’ai décidé de venir ici (Ndlr : Koumna Koudgo). Après 16 jours de traitement, je commence déjà à marcher à l’aide des béquilles. Il mérite d’être soutenu », confie t-il.

Des cases rondes, des argamasses, des couchettes de fortune constituent le décor de ces lieux de soins. C’est là que la plupart des patients passent la totalité ou presque de leur temps « d’hospitalisation ». Pas de latrines, pas de logements décents. Des patients sont obligés de se coucher à même le sol. La restauration leur incombe, faute de moyens pour faire face aux besoins des patients. Rasmané Komi explique : « Nous tenons à dire aux patients de s’occuper de leur restauration. C’est connu dans les clauses du traitement. Nous aurions voulu les prendre entièrement en charge, mais les moyens nous font défaut. Nous souhaitons qu’on nous vienne en aide pour nous permettre d’améliorer nos prestations, de bien accomplir cette tâche qui nous tient à cœur ».

A Koumna Koudgo, Adama Tao embouche la même trompette : « Nous aurions souhaité séparer nos logements des maisons d’accueil, mais nous sommes souvent obligés de les confondre. Ils servent des fois, aux patients. » Il se félicite toutefois de l’initiative du projet « construction sans bois » qui a réalisé trois maisonnettes au profit des malades. Mais de nos jours, la capaité d’accueil est largement dépassée, au regard de l’affluence que connaît la localité. Avec plus d’une vingtaine de malades internés, l’inquiétude du guérisseur est grandissante. « Avec la saison pluvieuse qui s’installe, le problème de logis se posera encore avec plus d’acuité. »

Le travail est bénévole et très peu de ressources propres sont mobilisées pour faire face aux besoins de plus en plus importants. « Nous ne fixons pas a priori un montant pour nos prestations. Ce qui nous intéresse, c’est la guérison du patient. C’est à eux de voir ce qu’ils peuvent nous donner. Mais, il y a souvent des personnes indigentes que nous sommes obligés de prendre en charge de façon globale. »

Une réalité que confirme M. Zorom : « Il ne nous demande rien. Il nous appartient de prendre en charge notre restauration. Je pense qu’ils méritent d’être soutenus pour leur permettre d’améliorer leur cadre de travail. Si non actuellement, il n’y a ni latrines, ni maison décente. » Promiscuité des logements, faible capacité d’accueil … les conditions de travail dans ces centres de soins traditionnels sont peu enviables. Malgré tout, ces espaces non formels de santé continuent d’avoir une audience auprès des populations. Ils jouent un rôle important dans la prise en charge des patients.

La collaboration médecine moderne et médecine traditionnelle mérite d’être approfondie. La réflexion mérite d’être menée, afin d’offrir à ces détenteurs de savoirs traditionnels, leur place et leur apporter l’appui nécessaire. C’est tout un patrimoine qui mérite d’être sauvegardéet valorisé. Un dépassement de soi s’impose alors pour la construction d’un véritable pont entre ces différends ordres de savoirs et de savoir-faire.

Abdoul Salam OUARMA

atl_room2000@yahoo.fr


La médecine traditionnelle à la peau dure

L’idée de ce reportage est partie d’un fait banal. Alors que nous avions eu une luxation de genou, des suites d’un accident au cours d’une de notre mission d’informer, nous nous sommes présenté dans une formation sanitaire de la place. Très rapidement, l’agent de santé de permanence nous accueille.

Après une rapide consultation, il nous prescrit un calmant et nous tient ce langage. « Je ne suis pas autorisé à le faire, si non … (il hésite), je vous conseille d’aller à Bouna ». Dès lors, plusieurs idées ont commencé à trotter dans notre tête. Pourquoi Bouna ? Alors que nous sommes dans une formation sanitaire. Le rebouteur de Bouna s’est –il révélé plus efficace en certaines circonstances que notre médecine moderne ? Effectivement, au cours de notre séjour chez le tradithérapeute, nous y avons rencontré plusieurs patients. Certains nous ont confirmé n’être pas passés dans une formation sanitaire.

D’autres au contraire, soutiennent avoir signé une décharge, afin de se libérer des plâtres pour le traditionnel. Le même jour, après les soins du rebouteur, nous sommes arrivés à plier le genoux à notre retour, chose qui était impossible au départ. Bouna s’est avéré être une solution à notre problème, après une semaine de soins. Nous décidâmes alors, d’approfondir notre réflexion sur cette pratique et lui donner une certaine visibilité à un moment où le secteur contribue énormément à la résolution des problèmes de santé des populations et partant, des objectifs du millénaire. Même des infirmiers se soignent ici

Au cours du reportage, l’un des rebouteurs de Koumna Koudgo s’est plaint du comportement de certains agents de santé à leur égard. Ils ne veulent pas nous reconnaître. Des agents font semblant d’ignorer notre existence. Pour lui, il n’y a pas une volonté manifeste de les accompagner dans leur tâche. Pourtant, ils viennent à eux pour se soigner quand ils sont victimes de fracture ou de luxation. « Il faut que notre collaboration soit plus franche. Il faut qu’ils reconnaissent que nous faisons partie du maillon de la santé. L’on pourrait alors conjuguer les efforts pour résoudre les questions de santé des populations », a t-il souligné.

sidwaya.bf

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