Le 9 février prochain, trois anciens ministres comparaîtront pour
homicide involontaire devant la Cour de justice de la République dans l'affaire du sang contaminé. Libération se penche sur l'un d'entre eux, Laurent Fabius. Le président de l'Assemblée nationale, qui quittera le perchoir tout le temps du procès, est plongé dans la lecture du dossier qui le concerne. Muré dans le silence, protégé par ses amis, réservant ses déclarations à la juridiction qui aura pour tâche de le juger, il est aujourd'hui «l'homme qui fait tout pour sauver sa peau».
Il lit. Relit le dossier. Laurent Fabius est à quinze jours de l'ouverture de son procès pour homicide involontaire devant la Cour de justice de la République. Raconté de loin ou de près, c'est le même homme: «Un homme qui fait tout pour sauver sa peau.» Autour de lui, tel un cordon sanitaire, son entourage le protège. Tremble. Promet aussi: «L'arrêt de renvoi, c'est l'école stalinienne de la falsification. Il n'en restera pas une pierre. Je crois qu'on le sortira d'affaire», estime le sénateur PS Henri Weber. Sont revenus auprès de lui certains de ceux qui composaient son équipe, au moment où l'affaire a éclaté. Ainsi Jo Daniel, chargé de sa communication à l'Hôtel de Lassay, et depuis parti dans le privé, a temporairement repris du service. Est mobilisé tout ce que son réseau, l'un des plus fins tissages politiques, compte de juristes, de hauts fonctionnaires, de médecins, d'intellectuels amis. La fameuse machine Fabius.
Peur. L'ancien Premier ministre a choisi une défense solitaire. Indépendante des deux autres accusés, ses anciens ministres Edmond Hervé et Georgina Dufoix. A l'écart du gouvernement et du Parti socialiste où il se murmure: «On ne parle pas trop de ça, ça nous fait trop peur.» Comme président de l'Assemblée nationale, Fabius reçoit encore les députés. A certains, il en glisse quelques mots. A d'autres, il n'en dit rien. L'argumentaire est ficelé. Avec deux ennemis désignés: «l'anachronisme» ne jugeons pas hier avec nos connaissances d'aujourd'hui et «l'incompréhension complète du fonctionnement de l'appareil d'Etat» c'est un miracle que ce dossier ait atterri sur son bureau, et c'est parce qu'il s'en est saisi qu'il est aujourd'hui au banc des accusés. Un troisième fléau est désigné chez les fabiusiens: «l'irrationnel», «la demande sociale de coupables qui soient à la hauteur du drame». Cette accusation est allée de pair avec le désaveu des politiques. Laurent Fabius l'a reçue de plein fouet. Il n'a aucune prise sur elle, aucun mot à lui opposer. Maintes fois, il a répété à des proches qui croyaient deviner la fin du tunnel: «Il faut comprendre que cette affaire a déjà été jugée par l'opinion.» Alors, face au verdict populaire, Laurent Fabius n'a plus qu'une carte à jouer en dehors des murs de la Cour de justice de la République: l'élite. Soutiens. Petit à petit, elle se fait entendre par voie de presse. Pierre Joxe, président de la Cour des comptes, ancien ministre et vieux camarade, dans un interview à l'Evénement: «C'est en France, tout l'établit, que les mesures les plus adaptées ont été prises au niveau politique ["] et c'est en France néanmoins qu'on s'apprête à juger quelqu'un comme Laurent Fabius qui mériterait plutôt des félicitations, des remerciements: il a sauvé des vies humaines.» Philippe Kourilsky, professeur au Collège de France, chaire d'immunologie moléculaire, dans les colonnes du Monde: «Faudrait-il traduire en justice le ministre de l'Intérieur et le garde des Sceaux parce que l'alcool et la vitesse tuent sur les routes françaises plus qu'ailleurs?» L'historien Michel Winock dans Libération, qui compare ni plus ni moins Laurent Fabius jugé dans l'affaire du sang à Léon Blum jugé par Vichy, en 1942, pour avoir fait perdre la guerre. La presse est au coeur de cette bataille en réhabilitation. Les médias sont reçus un par un par les communicants et les avocats du président de l'Assemblée, et repartent avec, sous le bras, une revue de presse des années 1983, 84, 85. Le message est on ne peut plus clair: vous ne saviez pas non plus, alors comment voulez-vous que le Premier ministre d'alors sache, lui? Difficile aujourd'hui de trouver une sommité, un pamphlétaire, un responsable politique, un éditorialiste pour charger l'ancien Premier ministre, ou tout au moins juger utile l'ouverture d'un tel procès. La bataille de l'élite est quasiment gagnée. La liste des témoins que veut citer à comparaître la défense fabiusienne est faite de scientifiques, de conseillers, mais aussi et surtout de quelques pointures politiques comme Pierre Mazeaud, RPR, membre du Conseil constitutionnel, pour dénoncer la pénalisation de la vie politique; Raymond Barre, pour décrire la complexité de l'appareil d'Etat; ou encore Jacques Barrot, ministre UDF des Affaires sociales entre 1995 et 1997, pour parler de santé publique. En somme, quelques grands «sages» de l'opposition pour faire durer l'unanimité des faiseurs d'opinion. Clivage. Laurent Fabius ne sera pas Roland Dumas: au moment du procès, il s'éclipsera momentanément du perchoir. «Pour ce que vous savez», a-t-il lâché la semaine dernière lors de ses voeux à la presse. Manière de dépolitiser au maximum l'épisode judiciaire. D'éviter quinze jours d'empoignades sur le thème: «Peut-il encore présider?» Car Laurent Fabius sait bien que la salle des quatre colonnes lieu où l'on cause à l'Assemblée peut rapidement se transformer en salle des pas perdus. Douze des quinze magistrats sont des parlementaires. Sept de droite (en raison du lourd avantage de l'opposition au Sénat), cinq de gauche. Laurent Fabius les connaît, les observe, avec le secret espoir de provoquer un clivage à droite. Car il va de la Cour de justice de la République comme de la région Rhône-Alpes: il y a des centristes et des va-t-en-guerre. Rares pourtant sont ceux qui se sont déclarés, comme Charles Amédée de Courson, magistrat suppléant, qui lâcha lors d'une nuit agitée de discussion sur le Pacs: «Il va voir ce qu'il va voir.»
Chez Fabius, on a suivi de près une réunion houleuse des magistrats autour du président Le Gunehec, le 24 novembre dernier. Le débat y était faussement accessoire: comment s'habiller? En robe noire de magistrat ou en civil? Se jouait en fait toute la dramaturgie du procès. La droite voulait du noir, la gauche la veste de tous les jours. La ligne de fracture fut des plus rituelles droite contre gauche pas aussi mouvante que pouvait le souhaiter l'accusé Fabius. Lequel sait bien, facteur aggravant, de quel côté était le président Le Gunehec, qui avait même milité pour une robe rouge, couleur sang. Beaucoup parlent de sa «partialité», au point que les avocats d'Edmond Hervé et Georgina Dufoix ont un temps pensé demander sa récusation. Fabius n'a pas voulu. En finir, vite. Solidarité. Lorsque, en 1992, le Sénat avait voulu l'exclure de la procédure qui mène à la Cour de justice, il avait d'abord saisi l'occasion de ce blanchiment, fut-il mal acquis. Tollé. Le lendemain, il se ravisait et demandait aux députés socialistes de ne plus bloquer la procédure et de voter sa mise en accusation aux côtés de ses deux anciens ministres. «Puisque tel est aujourd'hui le prix de la vérité et de l'honneur.» Le prix peut être plus lourd encore. Laurent Fabius peut-il sortir lavé de tout soupçon de la Cour de justice, sans éclabousser personne? Son conseiller scientifique François Gros, ancien patron de Pasteur? Ses deux anciens ministres? A cette question, la défense fait grise mine. Mais ne cille pas. Derrière Fabius, à la Cour de justice de la République, seront assis deux avocats, Jean Michel Darois et Michel Zaoui. Le choix de ce dernier a fait parler au barreau. Michel Zaoui fut l'un des représentants des victimes hémophiles contre le docteur Garetta. Le voilà passé dans le camp de la défense. D'abord, explique-t-il, parce que Laurent Fabius n'est pas jugé sur le même dossier les produits chauffés mais sur celui de la transfusion sanguine. Et surtout, dit-il, parce qu'il a toujours tenu le même discours aux victimes: n'allez pas jusqu'à faire juger les politiques. Le parcours de cet homme-là sert formidablement Laurent Fabius. Venu des victimes jusqu'à lui. Les victimes, elles, seront dehors (il n'y pas de parties civiles) et lui dedans. Son silence fait aussi partie de sa défense. Laurent Fabius n'ira pas sur les plateaux de la télévision. Ni avant ni pendant, nul ne peut dire pour l'après. Pour l'heure, il lit et relit. Avec en tête cette phrase de Clemenceau qu'il sert souvent: «Il n'y a dans la vie ni aléas ni hasard, il n'y a qu'attention portée aux détails».
http://www.liberation.fr/societe/0101271320-le-proces-du-sang-contamine-le-dernier-acte-de-laurent-fabius-l-ancien-premier-ministre-s-est-entoure-d-amis-et-peaufine-sa-strategie
homicide involontaire devant la Cour de justice de la République dans l'affaire du sang contaminé. Libération se penche sur l'un d'entre eux, Laurent Fabius. Le président de l'Assemblée nationale, qui quittera le perchoir tout le temps du procès, est plongé dans la lecture du dossier qui le concerne. Muré dans le silence, protégé par ses amis, réservant ses déclarations à la juridiction qui aura pour tâche de le juger, il est aujourd'hui «l'homme qui fait tout pour sauver sa peau».
Il lit. Relit le dossier. Laurent Fabius est à quinze jours de l'ouverture de son procès pour homicide involontaire devant la Cour de justice de la République. Raconté de loin ou de près, c'est le même homme: «Un homme qui fait tout pour sauver sa peau.» Autour de lui, tel un cordon sanitaire, son entourage le protège. Tremble. Promet aussi: «L'arrêt de renvoi, c'est l'école stalinienne de la falsification. Il n'en restera pas une pierre. Je crois qu'on le sortira d'affaire», estime le sénateur PS Henri Weber. Sont revenus auprès de lui certains de ceux qui composaient son équipe, au moment où l'affaire a éclaté. Ainsi Jo Daniel, chargé de sa communication à l'Hôtel de Lassay, et depuis parti dans le privé, a temporairement repris du service. Est mobilisé tout ce que son réseau, l'un des plus fins tissages politiques, compte de juristes, de hauts fonctionnaires, de médecins, d'intellectuels amis. La fameuse machine Fabius.
Peur. L'ancien Premier ministre a choisi une défense solitaire. Indépendante des deux autres accusés, ses anciens ministres Edmond Hervé et Georgina Dufoix. A l'écart du gouvernement et du Parti socialiste où il se murmure: «On ne parle pas trop de ça, ça nous fait trop peur.» Comme président de l'Assemblée nationale, Fabius reçoit encore les députés. A certains, il en glisse quelques mots. A d'autres, il n'en dit rien. L'argumentaire est ficelé. Avec deux ennemis désignés: «l'anachronisme» ne jugeons pas hier avec nos connaissances d'aujourd'hui et «l'incompréhension complète du fonctionnement de l'appareil d'Etat» c'est un miracle que ce dossier ait atterri sur son bureau, et c'est parce qu'il s'en est saisi qu'il est aujourd'hui au banc des accusés. Un troisième fléau est désigné chez les fabiusiens: «l'irrationnel», «la demande sociale de coupables qui soient à la hauteur du drame». Cette accusation est allée de pair avec le désaveu des politiques. Laurent Fabius l'a reçue de plein fouet. Il n'a aucune prise sur elle, aucun mot à lui opposer. Maintes fois, il a répété à des proches qui croyaient deviner la fin du tunnel: «Il faut comprendre que cette affaire a déjà été jugée par l'opinion.» Alors, face au verdict populaire, Laurent Fabius n'a plus qu'une carte à jouer en dehors des murs de la Cour de justice de la République: l'élite. Soutiens. Petit à petit, elle se fait entendre par voie de presse. Pierre Joxe, président de la Cour des comptes, ancien ministre et vieux camarade, dans un interview à l'Evénement: «C'est en France, tout l'établit, que les mesures les plus adaptées ont été prises au niveau politique ["] et c'est en France néanmoins qu'on s'apprête à juger quelqu'un comme Laurent Fabius qui mériterait plutôt des félicitations, des remerciements: il a sauvé des vies humaines.» Philippe Kourilsky, professeur au Collège de France, chaire d'immunologie moléculaire, dans les colonnes du Monde: «Faudrait-il traduire en justice le ministre de l'Intérieur et le garde des Sceaux parce que l'alcool et la vitesse tuent sur les routes françaises plus qu'ailleurs?» L'historien Michel Winock dans Libération, qui compare ni plus ni moins Laurent Fabius jugé dans l'affaire du sang à Léon Blum jugé par Vichy, en 1942, pour avoir fait perdre la guerre. La presse est au coeur de cette bataille en réhabilitation. Les médias sont reçus un par un par les communicants et les avocats du président de l'Assemblée, et repartent avec, sous le bras, une revue de presse des années 1983, 84, 85. Le message est on ne peut plus clair: vous ne saviez pas non plus, alors comment voulez-vous que le Premier ministre d'alors sache, lui? Difficile aujourd'hui de trouver une sommité, un pamphlétaire, un responsable politique, un éditorialiste pour charger l'ancien Premier ministre, ou tout au moins juger utile l'ouverture d'un tel procès. La bataille de l'élite est quasiment gagnée. La liste des témoins que veut citer à comparaître la défense fabiusienne est faite de scientifiques, de conseillers, mais aussi et surtout de quelques pointures politiques comme Pierre Mazeaud, RPR, membre du Conseil constitutionnel, pour dénoncer la pénalisation de la vie politique; Raymond Barre, pour décrire la complexité de l'appareil d'Etat; ou encore Jacques Barrot, ministre UDF des Affaires sociales entre 1995 et 1997, pour parler de santé publique. En somme, quelques grands «sages» de l'opposition pour faire durer l'unanimité des faiseurs d'opinion. Clivage. Laurent Fabius ne sera pas Roland Dumas: au moment du procès, il s'éclipsera momentanément du perchoir. «Pour ce que vous savez», a-t-il lâché la semaine dernière lors de ses voeux à la presse. Manière de dépolitiser au maximum l'épisode judiciaire. D'éviter quinze jours d'empoignades sur le thème: «Peut-il encore présider?» Car Laurent Fabius sait bien que la salle des quatre colonnes lieu où l'on cause à l'Assemblée peut rapidement se transformer en salle des pas perdus. Douze des quinze magistrats sont des parlementaires. Sept de droite (en raison du lourd avantage de l'opposition au Sénat), cinq de gauche. Laurent Fabius les connaît, les observe, avec le secret espoir de provoquer un clivage à droite. Car il va de la Cour de justice de la République comme de la région Rhône-Alpes: il y a des centristes et des va-t-en-guerre. Rares pourtant sont ceux qui se sont déclarés, comme Charles Amédée de Courson, magistrat suppléant, qui lâcha lors d'une nuit agitée de discussion sur le Pacs: «Il va voir ce qu'il va voir.»
Chez Fabius, on a suivi de près une réunion houleuse des magistrats autour du président Le Gunehec, le 24 novembre dernier. Le débat y était faussement accessoire: comment s'habiller? En robe noire de magistrat ou en civil? Se jouait en fait toute la dramaturgie du procès. La droite voulait du noir, la gauche la veste de tous les jours. La ligne de fracture fut des plus rituelles droite contre gauche pas aussi mouvante que pouvait le souhaiter l'accusé Fabius. Lequel sait bien, facteur aggravant, de quel côté était le président Le Gunehec, qui avait même milité pour une robe rouge, couleur sang. Beaucoup parlent de sa «partialité», au point que les avocats d'Edmond Hervé et Georgina Dufoix ont un temps pensé demander sa récusation. Fabius n'a pas voulu. En finir, vite. Solidarité. Lorsque, en 1992, le Sénat avait voulu l'exclure de la procédure qui mène à la Cour de justice, il avait d'abord saisi l'occasion de ce blanchiment, fut-il mal acquis. Tollé. Le lendemain, il se ravisait et demandait aux députés socialistes de ne plus bloquer la procédure et de voter sa mise en accusation aux côtés de ses deux anciens ministres. «Puisque tel est aujourd'hui le prix de la vérité et de l'honneur.» Le prix peut être plus lourd encore. Laurent Fabius peut-il sortir lavé de tout soupçon de la Cour de justice, sans éclabousser personne? Son conseiller scientifique François Gros, ancien patron de Pasteur? Ses deux anciens ministres? A cette question, la défense fait grise mine. Mais ne cille pas. Derrière Fabius, à la Cour de justice de la République, seront assis deux avocats, Jean Michel Darois et Michel Zaoui. Le choix de ce dernier a fait parler au barreau. Michel Zaoui fut l'un des représentants des victimes hémophiles contre le docteur Garetta. Le voilà passé dans le camp de la défense. D'abord, explique-t-il, parce que Laurent Fabius n'est pas jugé sur le même dossier les produits chauffés mais sur celui de la transfusion sanguine. Et surtout, dit-il, parce qu'il a toujours tenu le même discours aux victimes: n'allez pas jusqu'à faire juger les politiques. Le parcours de cet homme-là sert formidablement Laurent Fabius. Venu des victimes jusqu'à lui. Les victimes, elles, seront dehors (il n'y pas de parties civiles) et lui dedans. Son silence fait aussi partie de sa défense. Laurent Fabius n'ira pas sur les plateaux de la télévision. Ni avant ni pendant, nul ne peut dire pour l'après. Pour l'heure, il lit et relit. Avec en tête cette phrase de Clemenceau qu'il sert souvent: «Il n'y a dans la vie ni aléas ni hasard, il n'y a qu'attention portée aux détails».
http://www.liberation.fr/societe/0101271320-le-proces-du-sang-contamine-le-dernier-acte-de-laurent-fabius-l-ancien-premier-ministre-s-est-entoure-d-amis-et-peaufine-sa-strategie
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