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Deux ans après le début de la guerre civile, on commence à peine à
avoir un début d’idée de comment les choses se passent. Essentiel pour
ne pas dépendre des déclarations officielles.
L’article original a été écrit par
Phil Sands (liste de ses articles) et
Suha Maayeh
"
Un centre secret de commandement des opérations en Jordanie,
composé de responsables militaires occidentaux et arabes, a apporté un
soutien essentiel aux rebelles combattants sur le front sud de la Syrie
en leur fournissant des armes et des conseils tactiques pour attaquer
des cibles du régime.
Des combattants rebelles et des membres de l’opposition affirment
que le centre de commandement, basé dans un bâtiment du siège du
renseignement à Amman (en Jordanie), achemine des véhicules, des fusils
sniper, des mortiers, des mitrailleuses lourdes, des armes légères et
des munitions à des unités de l’Armée Syrienne Libre" [Elle se serait arrêté à ces armes n'allant pas jusqu'à fournir des armes anti-aériennes et anti-tank]
Des officiels jordaniens ont nié l’existence de ce centre. "
Nous rejetons ces allégations. La Jordanie n’est pas un hôte ou ne fait pas partie d’une quelconque coopération contre la Syrie.
L’intérêt de la Jordanie est de voir une Syrie stable et sûre, une
Syrie capable de garder ses problèmes à l’intérieur de ses frontières ", a déclaré Mohammad Al Momani, ministre des questions relatives aux médias (
media affairs).
"
Mais des membres l’opposition syrienne familiers avec les
opérations rebelles menées à Deraa, à environ 75 kilomètres au nord
d’Amman, ont déclaré que la Jordanie a accueilli le centre de
commandement et a chargé les responsables supérieurs du renseignement
jordanien de travailler avec les Etats occidentaux et arabes pour aider
les rebelles à planifier des missions et obtenir des munitions et des
combattants [...].
L’existence d’un pont d’armes aux rebelles de la Jordanie à
l’intérieur de la Syrie a été un secret mal gardé depuis une enquête du
New York Times en Mars, mais peu de détails ont été rélévés son
fonctionnement".
Toutefois, selon des membres de l’opposition, le centre de
commandement – connu comme "la salle des opérations" – est gérée par des
responsables militaires de haut rang et un personnel provenant de 14
pays, dont les États-Unis, les pays européens et les états arabes du
Golfe, ces derniers fournissant l’essentiel du matériel et un soutien
financier à des factions rebelles.
Une organisation bien précise sur le papier
"Le centre de commandement reçoit un préavis de l’ASL concernant les
opérations projetées contre les forces fidèles à Bachar Al Assad, et
remettent les armes uniquement si les responsables du centre approuvent
les attaques.
«Quand nous voulons faire une opération, nous organisons, pour
l’un de nos hommes, une réunion informelle avec un officier de liaison
militaire de la salle des opérations et ils se rencontrent, dans un
hôtel ou quelque part à Amman, et parlent des plans" dit un officier de
l’ASL impliqués dans le système. "Si l’officier de liaison aime
notre idée, il demande une réunion plénière de la salle des opérations
et quelques jours plus tard, nous y allons et faisons une présentation
officielle du plan,"
Ensuite, les conseillers militaires occidentaux et arabes au
centre de commandement font des ajustements tactiques et aident à
déterminer quand et comment l’opération devrait aller de l’avant.
Ils allouent également des armes nécessaires pour l’attaque et,
selon le plan approuvé, mettent la logistique pour s’assurer d’une
bonne réception.
«Nous parcourons ensemble les détails, ce dont nous avons besoin
en termes d’hommes et d’armes, et quand nous l’obtiendrons. Tout est
détaillé, et c’est fait d’une manière très exacte », a déclaré un
responsable de l’ASL."
Un champ théoriquement restreint…
Les factions islamistes en dehors de l’ASL, y compris les groupes
affiliés à Al-Qaïda, ne sont pas impliquées dans la "salle des
opérations" et ne
reçoivent pas directement des armes ou des conseils militaires. [Ce qui n'empêche nullement des états de faire cela de leur côté]
Toutes les opérations de l’ASL à Deraa ne sont pas approuvées par le
centre de commandement. Parfois, les unités de l’ASL effectuent des
opérations de leur propre chef. Cependant "
s’ils n’ont pas les armes
dont ils ont besoin, ou si une attaque est compliquée à planifier, les
agents de l’ASL vont chercher le soutien du centre de commandement."
"Nous coopérons l’un avec l’autre, ils ne nous contrôlent pas et nous ne faisons pas toujours comme ils nous disent.
C’est plus comme s’ils nous donnaient des conseils et parfois nous les
prenons et parfois nous ne les prenons pas", a déclaré un autre
commandant de l’ASL impliqué dans le système."
… mais des divergences d’interprétation quant à la portée pratique
Pourtant, selon un autre officier de l’ASL au fait des opérations
rebelles à Deraa lesdites unités avaient été équipées avec des fusils
modernes de fabrication autrichienne – équipé de magasins (chargeurs) de
munitions transparents – des dizaines de milliers de pièces de
munitions pour mitrailleuses de calibre lourd, des grenades propulsées
par fusée ainsi que des mortiers et des obus"
Durant les deux derniers mois, les unités de l’ASL ont également reçu
des véhicules, équipés de mitrailleuses lourdes, et des rebelles ont
été envoyés en Arabie saoudite pour être formés.
"Il y a eu 80 combattants envoyés en Arabie le mois dernier pour
une formation relative aux communications militaires. Au total, il y a
eu quelques centaines de formés. Ils reviennent entièrement
équipés – chacun avec une arme personnelle, un camion de ramassage pour
chaque équipe de cinq hommes, une mitrailleuse lourde pour chaque
équipe, ainsi que des vêtements, des bottes et ce genre de choses ", a
déclaré un commandant de l’ASL".
Un diplomate occidental a déclaré que les pays américains et
européens ne fournissaient pas de munitions aux rebelles mais ont
effectivement des agents de liaison en contact régulier avec l’ASL.
[Difficile de déterminer qui décide quoi. Est-ce-qu'orienter les
rebelles vers une instance collégiale, composée d'occidentaux et
d'arabes, qui décide de fournir des armes arabes aux rebelles n'est pas
une fourniture d'armes ?]
"Les armes saoudiennes et qataris fournies passent la frontière
jordanienne, mais pas dans un volume apte à changer l’équilibre des
forces sur le terrain [Pas dans le sens des rebelles en tout cas]
Ce soutien n’est pas du niveau du soutien russe à l’état syrien,
selon le diplomate [On pourrait objecter que la Syrie est encore un état
souverain et que l'armée syrienne est beaucoup plus nombreuse et n'est
pas engagée dans la même tactique ce qui fausse la comparaison]
Un soutien qui a "beaucoup aidé" tout en étant trop resteint : "ils veulent maintenir un équilibre"
"
Des unités de l’ASL à Deraa ont déclaré que le soutien
international est venu avec trop de restrictions et ne suffit pas à
réaliser des progrès importants.
"
Durant l’été, il y a eu une réunion à la salle des opérations et
de toutes les unités de l’ASL à Deraa et on nous a dit très clairement
quelles sont les règles. Il [le centre de commandement] a dit
que nous n’avons pas à attaquer les grandes installations militaires du
régime sans approbation, que nous avons seulement à nous engager dans
des opérations éclaires (hit-and-run operations)
et que nous ne devons pas essayer de tenir le territoire parce que
l’aviation du pouvoir syrien nous atteindra si nous le faisons" a déclaré un combattant de l’ASL informé sur les négociations.
Les unités de l’ASL devaient également s’engager à ne pas transférer
des armes à des groupes islamistes, y compris le Front al-Nosra, qui a
une petite mais puissante présence sur le front sud de la Syrie.
"
Le centre de commandement a été bon pour nous, il a beaucoup aidé, mais nous aimerions plus d’engagement de leur part.
Ils ne partagent pas vraiment leurs renseignements avec nous, ils ne
nous donnent pas suffisamment d’armes pour faire le travail", a déclaré un commandant de l’ASL.
"
Nous pensons tous qu’ils veulent garder Assad plus fort que nous, ils veulent garder un équilibre -
nous obtenons suffisamment pour continuer, mais pas pour gagner", a-t-il dit.
Le régime d’Assad avait accusé la Jordanie d’accueillir les rebelles
et de les aider à se constituer en armée pour un assaut sur Damas.
Des factions de l’ASL à Deraa ont déclaré que la majorité
de leurs approvisionnements – parfois jusqu’à 80% – a été acheminée par
l’intermédiaire de leur centre de commandement.
Mais ils ont également décrit une chaîne d’approvisionnement souvent
complexe, opaque, même pour ceux qui y sont impliqués, avec des agents
de renseignement, des donateurs privés et des certaines organisations
agissant dans l’ombre.
"
Cela devient très compliqué, tout le monde ment aux autres, tout
le monde essaie de contrôler tout le monde", a déclaré un commandant de
l’ASL."
Conclusion :
Une lecture, même prudente, de cet article amène à la conclusion
suivante : Le front sud de la guerre civile syrienne repose de manière
substantielle sur une collaboration directe entre l’Armée Syrienne Libre
et un réseau opaque d’agents étrangers chapeauté par un organisme
collégial international plus ou moins secret et structuré. Cet organisme
collégial structuré a des responsabilités directes dans l’approbation
des opérations pour laquelle l’ASL ne peut pas ou ne veut pas agir
seule, dans l’élaboration conjointe des tactiques et la décision de
mobiliser des armes. Elle délègue
de facto la formation et le
financement des combattants à certains de ces membres. De même la
fourniture des armes est aux mains du même réseau opaque d’agents de
liaison décrit précédemment dans lequel semble exister des désaccords,
des conflits, des jeux de pouvoir etc… La nature même de ce réseau
structuré de collaboration rend complexe la définition d’objectifs
stratégiques clairs et efficace et aboutit à une situation de statut-quo
qui est perçu sur le terrain comme un manque de soutien, un certain
abandon, une volonté de maintenir un équilibre contre l’ennemi.
De très nombreuses observations et questions viennent alors à l’esprit :
- Cette situation donne du grain à moudre à la rhétorique du
président syrien quant à l’existence d’une coalition étrangère derrière
l’allongement du conflit. Au vu de l’article, ce sont principalement les
fournitures arabo-occidentales qui permettent à l’ASL de ne pas sombrer
au Sud, qui libère indirectement du terrain pour les terroristes, qui
mène à des alliances de circonstance entre l’ASL et les islamistes qui
augmente la porosité entre les deux sphères (La guérilla de l’ASL
mènerait à la conquête du terrain par les islamistes). Prudemment on se
contera d’affirmer que la course pour alimenter les rebelles en armement
ne fait qu’alimenter un équilibre meurtrier factice entre "rebelles" et
gouvernement syrien).
- Une organisation similaire est-elle active sur le front nord (et
nord-est) ? On peut affirmer sans grand risque que oui, au vu des
révélations de cet article. Une telle structuration doit se retrouver,
elle est peut-être basée en Turquie.
- Les occidentaux jouent un jeu très dangereux en tenant un rôle dans
de telles struturations. Fixer des règles sur la tactique et
l’utilisation des armes et déléguer la responsabilité finale sur des
réseaux tenus par l’Arabie Saoudite ou le Qatar les rassurent sans doute
quelque peu. Cependant on a suffisamment insisté sur la
porosité entre l’ASL et les islamistes
(un commandant de l’ASL est passé au Front al-Nosra il y a peu) pour
craindre sur l’opportunité stratégique d’une telle démarche. Les
islamistes peuvent s’emparer des armes, des déserteurs peuvent fournir
des informations et des équipements, les djihadistes peuvent avoir une
stratégie de conquête de terrain en passant derrière d’éventuelles
actions de l’ASL, les armes et équipements peuvent être détournés au gré
des jeux de pouvoir au sein des réseaux qui assurent l’intendance entre
le "commandement central" et le terrain.
- Si on prend l’exemple de la France qui déclare aujourd’hi même
soutenir, avec l’Arabie Saoudite, les rebelles dont l’objectif est de
renverser Assad, on voit toute l’ambiguïté. Les islamistes veulent
renverser Assad, les jihadistes veulent renverser Assad, les "modérés"
veulent renverser Assad. Tous pour des raisons différentes, de qui parle
Hollande, de qui parle l’Arabie Saoudite. Très facile de jouer sur les
ambiguités. Je doute clairement que ce soit la France qui dispose de
l’expertise pour prendre contact avec les arabophones sur le terrain,
ils doivent s’en remettre aux mains des nations du Golfe pour la
constitution des réseaux d’agents de liaison etc… Il doit y avoir de
très forts enjeux et de fortes tensions en coulisse comme en témoigne
l’opacité du processus. [Dans
l'article de La Croix, le chercheur Frédéric Pichon déclarait : "
Cela
s’est produit, parce que dès le début de la guerre, les Occidentaux ont
sous-traité le conflit à leurs amis, les pays du Golfe, et à l’Arabie
saoudite en particulier, pensant que cela accélérerait la fin du régime.",
je partage cette analyse, la position officielle ne semble pas avoir
changée (surtout quand dans le même temps on conclut des contrats avec
l'Arabie Saoudite pour armer le Liban).]
- Les États-Unis et les occidentaux peuvent-ils dirent qu’ils ne
livrent pas d’armes uniquement car elles ne sont pas de leur fabrication
(ce dont on peut déjà douter parfois) alors que des hauts gradés de
l’armée participent à la structure qu’on a évoqué dans l’article. C’est
plus que douteux…
Perenniser cette situation en rajoutant de l’huile sur le feu est
dangereux. La conférence de Genève-2 pourrait produire des avancées mais
les filières opaques crées, les relations "d’affaires", les
intermédiaires, les réseaux de donateurs privés, les armes ne vont pas
s’envoler comme par magie en brandissant un bout de papier qui, s’il
aboutit, mènera à des déceptions, des interprétations divergentes, des
tensions, des rejets etc…
http://www.points-de-vue-alternatifs.com/2013/12/exclu-syrie-mise-en-lumi%C3%A8re-du-r%C3%B4le-d-un-centre-secret-de-commandement-international-bas%C3%A9-%C3%A0-amman-en-jordanie.html
http://reseauinternational.net/