Il
semble que la Turquie remet en question sa politique envers la Syrie à
en juger la presse turque, a rapporté le quotidien libanais asSafir. Les commentaires turques sur la visite du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan à Washington portent essentiellement sur la période post-visite et ses impacts sur la situation syrienne en particulier. La presse est unanime : la position turque a changé dans le sens de la recherche d'une solution pacifique d'une part, et l'abandon du soutien aux groupes fondamentalistes comme le Front alNosra qui utilise la Turquie comme passage d’acheminement d’armes vers la Syrie. Sur le premier point, Erdogan a déclaré à Washington que la position turque a changé voire elle a évolué par rapport à la question syrienne. Il s’est justifié en invoquant devoir céder aux pressions du président américain Barack Obama qui lui aurait demandé de soutenir les groupes modérés de l'opposition syrienne. Selon le quotidien turc Melliat, le journaliste Kadri Gursel estime que « la solution à la crise syrienne sera apportée par la conférence internationale Genève 2 et les moyens diplomatiques ». Selon Gursel, « la tenue d’une telle conférence traduit la conviction de toutes les parties qu'il n'y a pas une solution militaire à la crise syrienne, ce qui signifie qu'il y aura ensuite Genève 3 ». Et donc, la Turquie sera une partie intégrante à Genève 2 après qu’elle s’y était opposée fermement. Toujours selon le journaliste, «l'option militaire ne sera jamais posée sur la table compte tenu des efforts continus pour parvenir à un règlement pacifique mais aussi parce que la communauté internationale ne veut pas que la Syrie devienne un pays dominé par les jihadistes et Al-Qaïda. Et donc, la Turquie n’a aucune justification à garder chez elle une base arrière pour les jihadistes. Il lui sera demandé de contrôler ses frontières et de se comporter en Etat de droit ». «Erdogan n'est pas clair en parlant des organisations terroristes. Car si ce n’est pas du Front alNosra dont il s’agit, mais du PKK et du Parti de l'union démocratique en Syrie, alors on ne peut pas dire qu’il y a un changement dans la politique turque. Par contre, quand il s’agit du rôle du président syrien Bachar al-Assad dans le processus de règlement, là il y a un changement dans la position turque : car désormais on parle d’une participation des groupes du régime dans le processus de règlement qui se devrait se terminer par le départ d'Assad », souligne le journaliste. Et de poursuivre : « La Turquie a décidé donc d’abandonner son opposition au profit d’une participation active à la Conférence de Genève -2. Son rôle sera de convaincre l'opposition sunnite syrienne de participer à la conférence et faire partie de la solution ». Un autre journaliste du quotidien Melliat, Fouad Keyman a estimé que «les efforts actuels se concentreront sur le processus d'une solution pacifique à la crise syrienne où le rôle de la Turquie sera de persuader la Russie, la Chine et l'Iran à une telle solution ». Il a indiqué que «l'objectif des Etats-Unis est de réussir la phase de transition, ce qui nécessite l’arrêt de la guerre et la participation de tous, y compris des personnalités de l'intérieur du régime pur parvenir en fin de compte au départ du président Assad. Or, la Turquie veut un règlement rapide pour mettre fin au risque d'attentats comme celui de Rihaniyya et aussi cesser le flux des réfugiés syriens . Pour jouer ce rôle, la Turquie doit se concentrer à régler le problème kurde, afin d’éviter d’être un pays au flan blessé et devenir une star de la carte du Moyen-Orient. Ainsi, le processus de résolution du problème kurde offre des possibilités à la Turquie de jouer des rôles plus importants dans la région ». Pour le journaliste Ozil du quotidien Khabar turk , «le réalisme et le pragmatisme ont prévalu lors des réunions d’ Erdogan à Washington : la Turquie sait maintenant ce que veulent les États-Unis de la crise syrienne. Il est clair que la Turquie agira dans la question syrienne en conformité avec les normes établies par l'administration d’ Obama ». « La politique étrangère d'Ankara a perdu de sa valeur, la Turquie a dû affronter les limites de ses moyens. Désormais, l'influence turque dans les développements régionaux est limitée par les approbations de l’administration d’Obama. La Turquie devra faire preuve de plus de sérieux dans le contrôle des frontières et envers les groupes jihadistes. Les deux parties seront plus rationnelles grâce à l'appui des groupes d'opposition modérés en Syrie. Par conséquent, on peut s’attendre à de résultats sérieux à Genève-2" souligne Ozil. Enfin, selon le quotidien turc Star, il faut garder en mémoire que finalement « ce qui importe dans la question syrienne pour les Etats-Unis, c'est uniquement la sécurité d’Israël. Tout développement en Syrie qui ne menace pas la sécurité d'Israël n'a pas d'importance pour les États-Unis. Et donc, si une guerre civile en Syrie ne constitue pas une menace pour Israël, qu’elle se prolonge. Ils ont bien prolongé la guerre civile au Liban de 15 années c’est pourquoi la Turquie devrait se préparer à une guerre en Syrie qui ne se terminera pas bientôt ». |
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que certains appellent « révolutions », un terme qui paraît peu
approprié. Pour quatre des pays touchés par cette vague de révoltes, le
pouvoir en place a été renversé en quelques semaines, mais le changement
a débouché sur une situation chaotique, où des groupes extrémistes ne
répondant à aucun pouvoir identifiable sèment le désordre et
l’insécurité, cherchant à imposer une loi rétrograde. Dans l’un des cas
(celui de la Libye), le renversement du régime s’est déroulé dans une
grande confusion, à la faveur de l’intervention militaire étrangère, et
les milices armées tiennent lieu de pouvoir. Sinistre illustration de
cette réalité, notre ambassade à Tripoli vient d’être gravement touchée
par un attentat terroriste.
Pour sa part, la Syrie est depuis bientôt deux ans et demi le théâtre
d’une escalade sans fin de la violence et de la désolation, sans qu’une
lueur d’espoir se profile au bout du tunnel. L’opposition que l’on
disait pacifique a été marginalisée par les partisans de la lutte armée.
Selon les sources les mieux renseignées, les combattants qui s’opposent
à l’armée régulière seraient plus de 120°000, soutenus, financés,
armés, par l’étranger, le Qatar, l’Arabie Saoudite et la Turquie, mais
aussi par certaines puissances occidentales. Les « modérés », rassemblés
au sein de « l’Armée Syrienne Libre », ne représentent pas plus de 20%
de l’effectif. Dans leur immense majorité, les combattants sont des
mercenaires appartenant à des groupes extrémistes, salafistes ou
djihadistes, souvent affiliés à Al Qaida, et plus de la moitié d’entre
eux sont étrangers. Pour ces hommes dévoyés par le fanatisme et
l’obscurantisme, la Syrie est désormais une terre de « djihad » où
l’objectif est de renverser le gouvernement légal et de terroriser la
population civile. Pour celle-ci, qui demande à être protégée, l’armée
nationale constitue le premier et le dernier recours. On est donc loin
de la version diffusée sans relâche par les médias, les intellectuels et
les partis politiques qui imposent une description simpliste et
mensongère des évènements, celle d’un mouvement populaire de masse
luttant à mains nues contre un pouvoir massacreur afin d’établir la
démocratie et les droits de l’homme, avec le concours éclairé de
l’Arabie Saoudite, du Qatar et de la Turquie, entre autres.
Ayant rassemblé jour après jour des informations que nous tenons de
sources fiables, nous voyons avec consternation la France, avocate des
libertés, mais aussi patrie des droits de l’homme et du droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes dans la dignité et l’indépendance,
s’enferrer dans une position injuste et sans issue : refus d’envisager
une négociation politique avec les autorités légales, notamment le
Président, refus systématique d’écouter les voix de l’opposition
nationale, celle qui refuse l’intervention extérieure et prône le
dialogue, ce refus se doublant d’un appui résolu et d’encouragements
ouverts aux groupes armés y compris extrémistes, sans omettre la
reconnaissance d’une opposition émigrée qui a perdu tout contact avec la
Syrie depuis des dizaines d’années.
Avec tristesse, nous constatons l’absence de tout débat sur la
situation réelle en Syrie, les médias, les milieux politiques, la classe
intellectuelle refusant d’écouter ou de prendre en compte toute
information, toute position qui contredirait la doctrine officielle,
toute analyse dérangeante qui romprait l’unanimisme de façade des
faiseurs d’opinion et des preneurs de décision. Ce refus du pluralisme
des opinions et de la liberté d’expression nous paraît sans précédent
dans l’histoire de la République, et nous ne parvenons pas à comprendre
ce qui peut le motiver.
Fondé sur de telles bases, le consensus auquel s’adosse la position
du gouvernement ne fait pas honneur à notre pays, car il repose sur un
déni de réalité et/ou un déni de justice qu’il n’est plus possible de
taire, alors que les évènements dramatiques que l’on sait détruisent la
Syrie, l’un des berceaux de notre civilisation, déchirant sa société et
brisant les vies par centaines de milliers.
Le déni de réalité ou de justice ne serait sûrement pas aussi
flagrant si les faiseurs d’opinion et les preneurs de décision
diversifiaient leurs sources d’information, s’ils cessaient par exemple
d’avoir pour seule référence un « Observatoire Syrien des Droits de
l’Homme » (OSDH) basé à Londres reposant sur le seul Rami Abderrahmane
(un Syrien expatrié de longue date lié aux services secrets
britanniques) ou d’accorder crédit à des intellectuels installés en
France, en Europe ou en Amérique depuis de longues années, ayant perdu
tout contact avec les réalités de la Syrie et les préoccupations des
Syriens « réels ». Ils comprendraient alors pourquoi ces opposants, ne
courant aucun risque personnel, prônent avec tant de désinvolture la
destruction de leur pays et le recours à l’intervention militaire
étrangère. Peut-être finiraient-ils par accepter la réalité qui les
dérange, à savoir que la population est terrorisée par les terroristes,
les djihadistes et les extrémistes islamistes (et non pas par l’armée
nationale) et qu’elle ne souhaite pas être gouvernée par cette
opposition cynique et au comportement terrifiant.
Comment admettre que les autorités de notre pays, toujours promptes à
condamner les faits et gestes du pouvoir syrien et à multiplier les
déclarations provocatrices et inutiles, voire les propos déplacés,
n’aient jamais condamné les actions terroristes ou criminelles des
extrémistes qui font tant d’innocentes victimes parmi la population, les
morts et blessés se comptant par dizaines de milliers, jeunes et vieux,
anonymes et personnalités connues, y compris de vénérables hommes de
religion comme le Cheikh Al Bouti, assassiné avec de nombreux étudiants
dans sa mosquée…
Comme beaucoup de Français, les signataires de cette lettre sont
tristes de voir notre pays se placer « du mauvais côté du dossier » en
s’accrochant à une position injuste et irréaliste. Pourquoi reconnaître
et soutenir exclusivement une opposition violente dépourvue de
légitimité, qui exclut tout dialogue et s’associe au terrorisme, et
pourquoi refuser dans le même temps d’écouter l’opposition intérieure
qui souhaite une solution négociée avec le pouvoir légal ? Pourquoi en
venir à fermer les yeux sur les atrocités et les attentats commis par
les extrémistes et les djihadistes qui ont supplanté depuis longtemps
l’Armée Syrienne Libre et en venir à blanchir en Syrie les groupes
terroristes que l’on combat au Mali ? Pourquoi au fond approuver et
encourager la destruction de la Syrie, pays naguère ami de la France, le
dernier pays laïc du Proche-Orient qui a su assurer la coexistence des
communautés religieuses, offrir une généreuse hospitalité à des
centaines et des centaines de milliers de réfugiés de Palestine, d’Irak,
du Liban, qui donne aux femmes toute leur place dans la société ?…
Les signataires de cette lettre espèrent que les autorités françaises
accepteront enfin d’écouter toutes les voix raisonnables, reconnaissant
aux Syriens qui vivent en Syrie le droit d’exprimer leur opinion, y
compris leur soutien au Président et au gouvernement de leur pays. Ils
sont convaincus que la France reviendrait à sa vocation en se montrant
attentive aux aspirations du plus grand nombre à la réalisation de
réformes profondes dans le respect de la légalité et des institutions de
la Syrie.
Ils espèrent que notre gouvernement cherchera à faciliter le dialogue
sur un sujet touchant de si près au droit des gens, à la morale, au
droit des peuples à vivre en paix et à décider de leur sort sans
ingérence extérieure, ces principes dont la France a toujours été
l’avocate, justifiant la remarque entendue il y a quelques années :
« Finalement, on peut dire que la France reste toujours juste, même
quand elle est injuste ».
Ils posent enfin une question : au moment où tout indique que les
nouveaux responsables de la politique étrangère américaine, en liaison
étroite avec la Russie et d’autres pays concernés, ont décidé de
rechercher un règlement négocié de la crise, la France n’aurait-elle pas
intérêt à s’inscrire dès maintenant dans cette nouvelle politique qui
décidera de l’avenir de la Syrie et de nos futures relations avec
Damas ?
*Michel Raimbaud, Ancien ambassadeur de France au Soudan
** Alain Corvez, Conseiller en stratégie internationale
Progrès et Solidarité