IRIB-Raimundo Kabchi est avocat et un bon connaisseur des questions internationales.
Libanais de par sa naissance, depuis 52 ans sa patrie est le
Venezuela, comme il le fait remarquer. Durant de nombreuses années,
Kabchi a exercé en tant que conseiller du président Hugo Chavez pour les
sujets liés au Proche Orient, ce qui fait de lui une référence pour se
renseigner sur cette région du monde qui demeure agitée depuis assez
longtemps.
Au cours de cette conversation avec Resumen Latinoamericano, Kabchi
met en évidence la complexité des problèmes liés au Proche-Orient. Mais
il a le mérite d’analyser le monde arabe suivant une approche de gauche
et anti-impérialiste, et en même temps d’expliquer ce qui se passe de
façon simple et toujours en pointant du doigt le pays qui génère les
conflits dans cette partie du monde : les Etats-Unis.
La crise interne qui dure depuis plus de deux ans en Syrie sera l’une
des questions principales durant cette interview. Kabchi parlera aussi
de la situation au Liban, pays dans lequel il existe un réel danger de
contagion du conflit syrien, provoqué notamment par des groupes
terroristes financés par Washington et ses alliés afin de renverser le
gouvernement du président Bachar Al Assad. L’attitude de l’organisation
politico-militaire Hezbollah, la réalité de l’Egypte, et les différences
entre la Lybie et la Syrie seront aussi présentes dans ce dialogue
éclairant.
Quelle analyse peut-on faire sur la situation en Syrie, après plus de deux années d’agressions contre ce pays ?
La Syrie est aujourd’hui l’objet d’une conjuration internationale.
Premièrement : face aux plans impérial-sionistes et de la droite arabe,
la Syrie fait partie d’un système que nous, au Moyen-Orient, appelons un
système de résistance. C’est-à-dire, elle résiste aux plans
impérialistes, sionistes et de la droite arabe dans la région. Comment
détruire ce pays pour ensuite s’occuper d’un autre maillon de la chaîne,
formée par l’Iran, l’Irak après le départ des américains, le Liban, la
Palestine, etc.
Deuxièmement, il y a un objectif constant pour l’Occident au Moyen
Orient : l’existence, la sécurité et l’expansion de l’Etat d’Israël. La
Syrie, comme l’Iran, s’avère être un obstacle pour atteindre ce but.
Troisièmement, il y a l’exploitation des richesses nationales dans le
monde arabe, et la Syrie est également un obstacle sur le chemin. Le
pétrole, le gaz, les pétrodollars qui sont recyclés pour les sociétés
occidentales, accablées par une crise économique structurelle et
internationale. La Syrie représente aussi un chaînon manquant dans la
chaîne que les Etats-Unis et l’Otan veulent construire face à la Russie
et la Chine. Si l’on jette un coup d’œil à la carte du monde, on
trouvera une chaîne de bases militaires qui s’étendent depuis la mer de
Barent jusqu’à la Turquie, et ensuite elle atteint le Golfe Persique. Si
l’on regarde vers l’Orient, on voit les Philippines, la Corée du Sud,
Taïwan, Guam, et même le Japon. L’ensemble de la chaîne se trouve
brisée, en quelque sorte, par la Syrie, le Liban, l’Iran et l’Irak. En
détruisant la Syrie, on crée pratiquement un système complet de bases
militaires autour de la Russie et de la Chine. Ce n’est pas la peine
d’expliquer pourquoi les Etats-Unis veulent encercler la Russie et la
Chine, des pays considérés émergents dans le monde. Emergents dans un
moment où l’impérialisme occidental, néolibéral et capitaliste se trouve
en déclin. Ce sont quelques-unes des raisons fondamentales expliquant
comment cette Syrie courageuse, avec l’unité de ses dirigeants, de
l’armée et du peuple, a réussi à tenir tête à une conjuration
internationale de presque trente pays du monde, et à un terrorisme
international que l’Occident dit combattre, mais qu’en réalité il
encourage, arme, en lui offrant une couverture et une légitimité en
Syrie.
Comment peut-on expliquer cette unité du gouvernement, du peuple et de l’armée en Syrie ?
J’accuse l’opposition vénézuélienne d’être toujours prête à
extrapoler des circonstances d’autres pays, d’autres situations
spécifiques et d’autres réalités, au Venezuela et de les encourager,
bien que les conditions ne soient pas les mêmes. C’est l’une des erreurs
de l’Occident par rapport à la Syrie. Ils ont pensé que la Syrie et la
Libye représentaient la même chose, et que la Russie et la Chine
auraient une attitude faible, comme cela fut le cas en Libye. Or,
Mouammar Al Kadhafi n’est pas Bachar Al Assad, la Libye n’est pas la
Syrie, et la situation internationale de la Syrie est différente aussi.
Kadhafi fut la victime de ses propres erreurs, provoquées par ses fils.
Les dernières années de sa vie, Kadhafi suivit une orientation politique
conduite par ses fils, notamment par Saif Al Islam. Il ouvrit les
portes à l’Occident, augmenta ses échanges avec les Etats-Unis de 300
millions de dollars à presque 7 milliards de dollars, il ouvrit ses
portes aux pays de l’Otan en Europe. Pas seulement en fournissant du
pétrole mais également en offrant de l’argent aux candidats
présidentiels et premiers ministres européens, ce que tout le monde sait
aujourd’hui.
Si cela ne suffisait pas, le pétrole que Kadhafi avait nationalisé
dans les années soixante, fut mis à nouveau à la disposition des grands
consortiums internationaux. Il y eut une double rupture en ce qui
concerne la réalité dans ce pays. D’abord, il y eut une rupture entre le
Kadhafi du vingt-et-unième siècle et celui du vingtième. Ensuite, une
rupture par rapport à son parcours politique : le Kadhafi nationaliste,
progressiste et rassembleur fit place à un pragmatisme en politique
internationale. Et l’impérialisme ne pardonne pas, n’a pas d’amis,
l’impérialisme a des vassaux ou des ennemis. Il utilise son vassal comme
un objet jetable et il fait tout pour détruire son ennemi. En Syrie, la
situation est différente, en raison de sa position historique, par le
parcours du parti au gouvernement, du président, de l’armée et du
peuple. Vingt-huit mois de résistance à une offensive internationale des
pays les plus dangereux - ainsi que des groupes terroristes - que
l’histoire et le genre humain aient jamais connus, c’est la meilleure
preuve qu’en Syrie il y a quelque chose de différent que l’on ne
retrouve pas ailleurs.
Comment expliquer la position des Etats-Unis et de leurs alliés européens face à ce qui se déroule au Moyen-Orient ?
Comment comprendre le fait que l’Occident partage quelque chose avec
des pays qui n’ont jamais eu de Constitution fixant leurs réalités, qui
n’ont pas de partis politiques d’opposition et non plus au gouvernement,
n’ont pas de syndicats, où les droits de l’homme ne sont pas
respectés ? Ce sont ces pays qui sont les alliés de l’Occident, du même
Occident qui dit vouloir apporter la démocratie au Moyen-Orient. Comment
comprendre cela et comment l’expliquer ?
Parlez-vous des monarchies du Golfe Persique ?
Je parle d’une série de monarchies ou dictatures imposées par les
Etats-Unis et l’Otan au Moyen-Orient durant les dernières cinquante
années. Comment considérer Israël comme un modèle et un exemple de
démocratie et de civilisation tandis que c’est un pays complètement
agresseur, belliqueux, raciste, exclusiviste et excluant ? Pourtant, le
Palestinien qui essaie de retourner dans sa patrie et qui voudrait avoir
droit à la même résolution des Nations-Unies qui accorda un permis de
vivre à Israël, et qui aurait dû être accordé aussi aux Palestiniens,
est persécuté, traité en tant que terroriste et assassiné par Israël. Et
l’Occident soutient cela.
C’est difficile à admettre, mais ces valeurs et ces principes sont
complètement disparus, pas seulement dans les territoires du
Moyen-Orient, mais aussi dans les médias internationaux. Comment est-il
possible que des gouvernements occidentaux, comme celui d’Obama, de
Sarkozy à l’époque, de Cameron, de Merkel, puissent dire à un pays que
son chef d’Etat, élu par le peuple, est illégitime et qu’il doit
partir ?
La Syrie est aujourd’hui l’objet d’une conjuration internationale où
l’on fait appel à tout, sauf à la démocratie, aux libertés publiques et
aux droits de l’homme, parce que, au cours des derniers vingt-huit mois
qui se sont écoulés depuis le début de l’agression à la Syrie, l’on ne
trouve pas un pays au Moyen-Orient qui ait avancé autant de réformes
constitutionnelles, autant de transformations en faveur du respect des
droits de l’homme et des libertés publiques, comme le gouvernement
syrien. Qui a eu accès à ces informations ? Qui a dit au gouvernement
syrien : « C’est bien fait, c’est un geste fort pour une meilleure démocratie », celle qu’ils prétendent apporter ? Personne.
Les combats en Syrie peuvent-ils se déplacer au Liban ?
Depuis les premiers jours de l’agression internationale en Syrie tout
le monde a prévenu l’Occident : jouer avec le feu en Syrie pourrait
enflammer les pays voisins, surtout la Turquie, qui s’est embourbée dans
le terrain marécageux de l’agression contre la Syrie. On nous avait
prévenus : ce qu’ils essaient de mettre en place en Syrie, c’est le
gouvernement des Frères Musulmans, ces islamistes récalcitrants qui ne
connaissent de l’Islam que le nom, pour s’en servir dans leurs
tentatives de prendre le pouvoir.
Est-ce le fruit du hasard ? Ceux qui avaient dit que le président
Assad allait durer deux ou trois semaines et qu’il partirait, sont
partis les premiers ? Comme Madame Clinton ? Ou comme Monsieur Sarkozy,
rejeté par le peuple français ? L’Europe et la Turquie, et le problème
qui existe dans ce pays, qui menace d’augmenter en proportion, dû à son
importance par la proximité des centres de décision européens, peuvent
également être atteints par les flammes de la guerre et de la
confrontation. L’un des objectifs de la conjuration en Syrie c’est
d’affaiblir l’organisation nationaliste de résistance au Liban, le
Hezbollah. Une organisation qui ne commit jamais un seul acte
terroriste, qui a seulement résisté à un Israël agresseur.
Pourtant, ces grands civilisateurs et démocrates de l’Occident
considèrent le Hezbollah comme une organisation terroriste. Quelle est
sa faute ? Repousser l’agression israélienne. L’agresseur devient un
civilisateur démocrate et l’agressé passe pour le méchant terroriste.
Voici le regard de l’Occident sur les peuples du Moyen-Orient. La vérité
c’est que les gouvernements qu’ils avaient imposés au Moyen-Orient,
comme en Egypte, sont tombés en moins d’un an. En Libye, il y a une
angoisse totale, les pays du Golfe ont leurs propres problèmes, des
changements structurels.
Pensez-vous que le Hezbollah aura un rôle décisif pour contenir l’arrivée des terroristes au Liban ?
Les problèmes au Moyen-Orient sont très complexes et il faut être
très familiarisé avec les sujets. Je suis Libanais chrétien et en même
temps je suis du côté du Hezbollah, non pas parce qu’ils l’accusent de
terrorisme, mais pour sa lutte de libération au Liban. Après avoir
libéré notre territoire, nous les Libanais pouvons continuer à vivre
comme nous vivons depuis des milliers d’années.
Mais il y a un danger imminent pour le Liban, venant de ceux qui
disent qu’ils veulent l’apaisement et le calme au Moyen-Orient. Mon pays
d’origine était un exemple de démocratie au Moyen-Orient et ils y
apportèrent le chaos. Comment est-il possible qu’un terroriste aux
Etats-Unis soit un terroriste, de même que dans le Sud de la France
c’est un terroriste, et au Nord du Mali c’est un terroriste, et qu’il
faille le combattre en tant que tel ? Mais, dès que ces terroristes se
trouvent au Liban et qu’ils sont en train de menacer, pas le Hezbollah,
mais notre pays, la Syrie et d’autres nations…pourquoi les aide-t-on ?
Au nom de quels principes moraux, de quels droits, de quel humanisme
les aider ? Alors, l’impérialisme nous traite comme il l’a toujours
fait, pas seulement en tant que ses vassaux, mais comme des eunuques
intellectuels. Alors, par l’intermédiaire de sa presse et de ses
cinquièmes colonnes dans nos sociétés, l’on nous vend le noir et le
blanc, ou le blanc et le noir. Au Liban, il y a un danger imminent de la
part des terroristes, ces mêmes terroristes qui agissent aujourd’hui en
Egypte, en Syrie, en Irak. Ils vont tenter de détruire le Liban, la
Turquie, la Jordanie, ou encore beaucoup d’autres pays si l’Occident ne
change pas sa stratégie et son agenda au Moyen-Orient. Ces terroristes
ne travaillent pas seuls. Depuis l’Afghanistan, à l’époque de l’Union
soviétique, jusqu’à aujourd’hui, ces terroristes sont protégés, aidés,
armés, financés et assistés médiatiquement, avec pour but de massacrer
et de faire tomber des gouvernements qui ne sont pas fidèles aux
intérêts de l’Occident, que ce soit au Moyen-Orient, en Amérique latine,
ou dans le monde entier.
Les Etats-Unis et leurs alliés ont-ils une notion du danger réel de cette situation ?
L’Occident, qui est dans l’erreur dans sa politique au Moyen-Orient,
se rend compte qu’il est en train de jouer avec le feu dans une région
qui regorge de pétrole inflammable et du pétrole qui est la garantie
pour résoudre les problèmes économiques de l’Occident. Aujourd’hui, plus
personne ne parle du départ de Bachar Al Assad, plus personne ne parle
d’une victoire de ces terroristes internationaux protégés par
l’Occident. Que disent-ils, Obama et Kerry, Cameron et les autres ?
Qu’est-ce ce qu’ils demandent à présent pour la Syrie ? Continuer à
armer et envoyer de l’aide aux terroristes afin d’obtenir un équilibre
sur le terrain, pour que ces représentants du terrorisme international
aient une carte afin de peser sur la table de négociations… Revenir à ce
qu’a proposé le gouvernement syrien au début du conflit. L’on ne peut
faire face au problème syrien avec des armes, de la destruction et du
sang. La Syrie doit trouver une solution, d’abord entre les Syriens, et
ensuite, à caractère politique et pacifique.
Comment pourrait-on expliquer les facteurs qui interviennent aujourd’hui en Egypte ?
Aujourd’hui en Egypte, on ne retrouve pas ces facteurs. Si l’on veut
une analyse sincère, profonde et objective, on doit dire qu’en Egypte il
existe deux courants, comme on les retrouve dans n’importe quel pays du
Proche-Orient. Il existe un courant qui souhaite servir les intérêts de
l’Occident, des gens qui sont présentés comme libérateurs et
démocrates, ce qui est loin d’être vrai.
Et puis, il y a les forces nationalistes qui prônent la souveraineté,
l’indépendance, la liberté, la revendication des richesses nationales
au profit du peuple. Combien de fois a-t-on appris que ce gouvernement
acquis à l’Occident, celui de Moubarak, qui dura trente années, avait
laissé le pays avec plus de 50% de la population en dessous du seuil de
la pauvreté ? Qui permit aux Frères Musulmans de prendre le pouvoir ?
Cette organisation fut créée en Egypte en 1928. Après quatre-vingt-cinq
ans d’une très mauvaise opposition partout dans le monde arabe, ils
arrivent au pouvoir. Ce qu’ils avaient réussi à faire échouer durant
quatre-vingt-cinq ans d’opposition, ils l’ont mis en place en douze
mois : ils ont augmenté la pauvreté, l’analphabétisme, l’économie est
tombée, ils se sont occupés d’éliminer l’un des revenus les plus
importants de l’Egypte qui est le tourisme…Quand on lit les déclarations
de Kerry, on se pose des questions. Kerry a dit que l’armée a dû
intervenir afin de redresser la démocratie en Egypte.
Ils auraient pu empêcher leur laquais, Monsieur Morsi, de mettre en
œuvre une politique complètement biaisée, avec une Constitution
complètement opposée à la sensibilité de l’écrasante majorité des
Egyptiens. N’oublions pas que Morsi obtint, lors du premier tour
électoral cinq millions et demi de voix, sur un total de cinquante-cinq.
Lors du deuxième tour, il obtint onze millions, c’est-à-dire qu’il ne
représentait pas la majorité pour faire cette Constitution taillée sur
mesure et au service de son parti qui est excluant, à caractère
islamique, mais d’un Islam qui n’a rien à voir avec le Coran. C’est un
Islam rétrograde qui ne sert qu’aux intérêts politiques d’un secteur de
la population.
Kerry et son gouvernement auraient pu empêcher ces manifestations
massives qui ont rempli les rues, demander à Monsieur Morsi de mettre en
place un gouvernement plus large, car les autres aussi ont des droits,
que ce soient les nasséristes, les socialistes, les unionistes, des
autres partis. En Egypte,l ? il existe deux façons de voir la politique
interne et internationale. Une façon de voir la politique comme une
soumission aux intérêts de l’Occident et un autre point de vue, celui de
la plupart de la population, qui veut une Egypte souveraine,
indépendante, qui puisse mettre au profit ses richesses nationales et
surtout, revenir à son rôle historique de leadership au Moyen Orient, et
d’équilibre dans une région pleine de contradictions et de conflits
locaux.
19 août 2013 - Source : Contrainjerencia