L'ex-président continue de naviguer entre business et politique. Son train de vie coûte 2 millions d'euros par an à l'Etat.
Nicolas Sarkozy, au Fort de Brégançon, en 2007. (HADJ / SIPA)
Nicolas Sarkozy rattrapé par une
histoire d'argent. Est-ce vraiment si surprenant ? Sa vie durant,
l'ancien chef de l'Etat, fier de ses amis riches mais brocardé pour ses
penchants bling-bling, a été tiraillé entre deux amours, deux passions
inconciliables dans l'histoire de notre république, la politique et le
business, le pouvoir et le "fric".
"Pour l'instant, je fais président, mais un jour j'irai faire du
fric", philosophait-il en son palais de l'Elysée au début de l'année
2008. A l'époque, alors que sa cote de popularité dégringolait dans les
sondages, il laissait entendre qu'il ne se représenterait pas en 2012.
Un seul mandat, et basta ! Il serait temps d'aller "faire du fric"... Il
s'imaginait alors "diriger une grande entreprise privée", s'épanouir
dans son métier d'avocat ou bien travailler aux côtés de son "ami
Martin" Bouygues.
Le "Sarko Tour"
Quatre ans plus tard, la passion politique l'emporta, et Nicolas
Sarkozy succomba à l'envie d'aller conquérir un second mandat. En vain.
Une fois défait, à peine sorti de l'Elysée, la tentation du "fric" l'a
donc repris de plus belle. Elle a d'abord pris la forme d'un tour du
monde de conférencier aussi prestigieux que grassement rémunéré. C'est
son ami l'ancien président du gouvernement espagnol José María Aznar qui
lui avait, le premier, fait l'article. Et l'ex-Premier ministre
britannique Tony Blair avait achevé de le convaincre de l'intérêt du
"job".
En douze mois, Nicolas Sarkozy est allé dispenser ses avis et
analyses sur la situation préoccupante de l'Union européenne, l'état de
la mondialisation ou les perspectives de sortie de crise aux Etats-Unis,
en Russie, en Chine, à Singapour, au Brésil, en Libye, au Qatar, au
Canada, et enfin en Grande-Bretagne. Et, d'ici à l'automne, le "Sarko
tour" est annoncé en Israël et au Mexique.
120.000 dollars pour une conférence à New York
Au risque de flirter avec le confit d'intérêts, l'ancien président
est le plus souvent l'invité d'honneur des plus grandes banques de la
planète. Ce fut le cas, par exemple, à New York, en octobre dernier,
lorsque le groupe brésilien BTG Pactual, principal fonds
d'investissement d'Amérique latine, l'avait convié à venir disserter sur
l'état du monde. Pour sa prestation, Nicolas Sarkozy serait reparti
avec environ 120.000 dollars en poche.
Trois mois plus tard, en janvier, il était de retour à Manhattan,
cette fois à l'invitation de Goldman Sachs. Là, devant 400 associés de
la banque, il a planché pendant une heure et demie. De retour à Paris,
il n'était pas peu fier de glisser à quelques proches qu'il s'était plié
à l'exercice en anglais et qu'il avait été "applaudi debout" par son
auditoire. Il faut dire que sa capacité à se faire comprendre dans la
langue de Shakespeare mérite bien une ovation...
Montréal, Moscou, Las Vegas, Londres…
Le 25 avril, c'est en français qu'il a discouru sur les "nouveaux
équilibres de la gouvernance mondiale" et "l'amitié entre la France et
le Canada" à Montréal, à l'invitation de la Chambre de Commerce du
Montréal métropolitain.
Entre ses séjours outre-Atlantique, Nicolas Sarkozy a trouvé le temps
de se payer une escapade à Moscou, où il fut accueilli, en novembre,
par l'oligarque Mikhaïl Fridman et par Alfa Bank, un imposant
conglomérat financier russe.
Mi-mai, c'est cette fois une société américaine de gestion d'actifs
conseillant les fonds souverains, Sky-Bridge Capital, sise à New York,
sur Madison Avenue, qui lui déroulait le tapis rouge de l'hôtel
Bellagio, à Las Vegas. Si le cabinet de Nicolas Sarkozy se refuse à
dévoiler ce que lui a rapporté cette virée dans le Nevada, on peut
rappeler que lors des éditions précédentes les participants à ce cycle
de conférences annuel empochaient jusqu'à la coquette somme de...
200.000 dollars !
Début juin, à l'hôtel Intercontinental de Londres, l'ancien président
a dû se contenter de la moitié pour s'exprimer devant d'autres
représentants de l'incontournable banque d'affaires américaine Goldman
Sachs. Quelque 100.000 dollars, c'est désormais le montant moyen de la
rémunération attribuée à l'ancien locataire de l'Elysée à chacune de ses
prestations. Est-ce parce que cette activité fort lucrative finirait
presque par donner le tournis que Nicolas Sarkozy a envisagé de se poser
?
Dragué par l'émir du Qatar
Au début de l'année, il a sérieusement songé à plonger pour de bon
dans le business. Et pas n'importe lequel. Dragué par l'émir du Qatar,
avec lequel il entretient les meilleures relations, l'ex-chef de l'Etat a
été sollicité pour monter un fonds de 500 millions d'euros qui devait
investir au Brésil, au Maroc et en Espagne. Trois pays où le carnet
d'adresses de Sarkozy aurait fait merveille pour lui faire pleinement
jouer un rôle d'apporteur d'affaires.
"Ce n'est pas parce qu'il est ancien président de la République qu'il
est voué à devenir trappiste", avait justifié, le 10 mars sur France
-Inter, le zélé Claude Guéant qui ne passe pas, lui non plus, pour un
moine en matière de business. Tenté de franchir le pas, Nicolas Sarkozy
en a été dissuadé par le cercle de ses fidèles : devenir
l'homme-sandwich de l'émirat du Qatar comme Schröder est devenu celui de
Gazprom, c'était s'interdire tout retour en politique.
Ce n'est pas la première fois qu'il renonce au moment de changer de
vie. Déjà en 1995, après l'échec d'Edouard Balladur à la présidentielle,
l'élu de Neuilly avait failli basculer dans le monde des affaires,
glissant un jour de déprime au banquier Antoine Bernheim, son parrain
dans le monde du business : "Si tu crées une banque d'affaires, j'en
suis !" Quelque temps plus tard, Bernheim lui proposait une place en or à
la banque Lazard et des revenus multipliés par cinq. Tentant. Mais
l'appétit politique était encore trop fort.
"Un jour, je serai aussi riche que toi !"
Onze ans plus tard, le 23 octobre 2006, il avait laissé éclater une
pointe de jalousie qui résonnait comme un regret. Ministre de
l'Intérieur, Nicolas Sarkozy remettait ce jour-là la Légion d'honneur à
son ami Stéphane Richard, à l'époque patron de la branche transports de
Veolia, aujourd'hui PDG d'Orange et mis en examen pour "escroquerie en
bande organisée" dans l'affaire Tapie. "Toi, tu as de la chance, tu as
une belle maison, tu es riche... Tu as réussi seul contre tous !" Puis,
après un soupir gourmand, l'aveu : "Un jour, je serai aussi riche que
toi !"
Malgré ses conférences et son activité d'avocat, reprise au lendemain
de sa défaite à la présidentielle, il n'en est pas encore là. Mais
l'ancien président n'a pas de souci à se faire tant la république sait
se montrer bonne fille avec les anciens locataires de l'Elysée. C'est un
décret gouvernemental qui date de 1985, signé de Laurent Fabius, alors
Premier ministre du président Mitterrand, qui en a fixé les règles
généreuses.
Ainsi, au même titre que ses deux collègues retraités, Valéry Giscard
d'Estaing et Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy perçoit d'abord la
retraite de président de la République, qui s'élève à 6.000 euros par
mois. Jusqu'à son coup de colère de jeudi dernier, il avait aussi droit
aux 12.000 euros d'indemnité pour sa présence au Conseil
constitutionnel. En retrait de l'institution, il va tirer un trait sur
ces émoluments. Mais, à l'âge légal, il percevra également les retraites
de tous ses autres anciens mandats (mairie de Neuilly, conseil général
des Hauts-de-Seine, Assemblée nationale), soit un total d'environ 10.000
euros par mois.
Privilèges
Les avantages octroyés aux anciens présidents ne s'arrêtent pas là.
La république a mis à disposition de Nicolas Sarkozy un appartement de
323 mètres carrés et onze pièces, dont l'une classée monument historique
et décorée de peintures du XIXe siècle, situé 77, rue de Miromesnil, au
coeur du "Triangle d'or" et du cossu 8earrondissement de Paris. Le
loyer mensuel de 15.000 euros de ces bureaux, où défile toute la
sarkozie, est pris en charge par l'Etat, de même que les salaires de ses
sept collaborateurs, parmi lesquels un directeur de cabinet, Michel
Gaudin, une conseillère chargée de sa communication, Véronique Waché,
une autre qui s'occupe des questions diplomatiques, Consuelo Remmert, la
demi-soeur de Carla Bruni, et deux assistantes.
Il bénéficie en outre du service de deux domestiques et de deux
fonctionnaires de police payés par la république. Sans compter une
voiture de fonction avec deux chauffeurs et la gratuité des transports
SNCF et Air France à vie en première classe pour lui et son épouse. Ce
dernier privilège vient d'être jugé "crapuleux" par le syndicat SUD
Aérien d'Air France, qui s'est indigné d
'un voyage de Carla Bruni-Sarkozy à New York, le 23 juin, estimé à 9.000 euros.
"Pingre"
Au total, l'entretien de l'ancien président et de son aréopage
revient à près de 2 millions d'euros par an à l'Etat. Et encore Nicolas
Sarkozy, que son ancienne épouse, Cécilia, avait traité de "pingre" (1),
sait-il se montrer économe. Après avoir commencé son quinquennat sur le
yacht de Vincent Bolloré, il l'avait fini dans une villa de Marrakech
prêtée par le roi du Maroc. Et il a l'habitude de passer ses vacances
chez ses amis fortunés, tel le milliardaire canadien Paul Desmarais, ou
dans la somptueuse résidence de sa belle-famille au cap Nègre.
Il faut dire que Sarkozy s'est porté caution solidaire du prêt de 11
millions d'euros que l'UMP doit rembourser au 31 juillet. Une situation
qui n'est pas étrangère à la colère teintée d'angoisse qui l'a saisi en
apprenant la décision du Conseil constitutionnel.
tempsreel.nouvelobs.com
(1) "Cécilia", par Anna Bitton, Grasset.