Deux ans sont passés depuis cette fameuse journée du 14 janvier
2011, et on ne sait toujours pas ce qui s’est réellement passé ce
jour-là. On a eu droit à plusieurs versions plus ou moins cohérentes
mais assez confuses. Ce sont les médias étrangers qui commencent
pourtant à donner leurs premières versions des faits : coup d’Etat
militaire orchestré par le Pentagone en collaboration avec la CIA, le
Général Ammar et l’ancien ministre des Affaires Etrangères Kamel Morjane
contactés par de hauts responsables du Département d’Etat Américain et
priés de faire « dégager » Ben Ali, …Après de longues et fines
investigations, cette théorie semble manquer d’éléments.
Peu de temps après, on a eu droit aux déclarations de l’ancien ministre
de la Défense Nationale Ridha Grira. Cet homme politique, inconnu
jusqu’alors au peuple tunisien, est sorti de l’ombre pour donner sa
version des faits. Sa sortie a été plus ou moins contestée et les
raisons remontent au temps où M.Grira était à la tête du ministère des
Domaines de l’Etat et des Affaires Foncières, un ministère sévèrement
critiqué pour les services rendus à la famille « royale ». M.Grira avait
donné une version discutable, volontairement cisaillée. La version de
M.Grira a été complétée par celle du chirurgien Borhane Belkhiria.
Six mois plus tard, on a assisté à un matraquage médiatique finement
ficelé par le fils du Général Ali Sériati. Tout le monde, ou presque, a
compris que le fils du Général voulait coûte que coûte sauver la peau de
son père, quitte à impliquer l’armée et à sa tête M. Grira dans les
tueries qui ont suivi le départ du Président Ben Ali. Mais en
s’attaquant à l’ancien ministre de la Défense, le fils de Sériati a
commis une erreur monumentale qui lui a coûté chère. En effet, en
opérant de la sorte, le fils du Général a éveillé les soupçons quant au
vrai rôle joué par le ministre de la Défense. Tous les analystes
affirment que derrière cet acharnement se cache une vérité qu’on veut à
tout prix enterrer. Ceci est d’autant plus vrai qu’il y a deux mois, un
document, classé jusqu’ alors « Secret Défense », faisant état des
derniers échanges téléphoniques qui ont eu lieu entre l’ancien Président
Ben Ali et son ministre de la Défense (qui n’est d’autre que M. Grira)
d’une part et entre ce dernier et le commandant de l’avion présidentiel
Mahmoud Chikhrouhou d’autre part, a fuité dans la presse (lien :
http://www.tunisie-secret.com/Exclusif-l-echange-telephonique-qui-a-scelle-le-destin-de-la-Tunisie_a104.html).
Le document a révélé les décisions prises essentiellement par le
ministre de la Défense et dont tout le monde connait les conséquences :
le retour de l’avion présidentiel sans le Président. Ces révélations ont
fait naturellement le buzz sur les réseaux sociaux et la une de tous
les médias. Ce document, dont son originalité a été remise en question
au départ, a été par la suite authentifié par des experts du domaine.
Mieux encore, c’est le Président Zine El Abidine Ben Ali en personne,
via un communiqué officiel rendu par son avocat M. Azoury, qui a
confirmé son contenu (lien :
http://www.tunisie-secret.com/Par-la-voix-de-son-avocat-libanais-Ben-Ali-confirme-l-authenticite-du-document-que-nous-avons-publie-en-exclusivite_a140.html).
Pourquoi M. Grira a-t-il caché les échanges téléphoniques qu’il a eu
avec le Président Ben Ali ? Pourtant ces fameux échanges ont fait de ce
modeste personnage un héros de la journée du 14 janvier 2011.
Pour comprendre l’attitude de M.Grira, qui dois-je le mentionner est
diplômé de la prestigieuse Ecole d’Administration de Paris (ENA) et de
l’école Centrale de Paris, il faut revenir à ses premières et uniques
déclarations qui remontent au mois de mars 2011. Lors de son
intervention, M.Grira avait relaté les faits qui ont marqué la journée
du 14 janvier, se contentant d’annoncer qu’il était derrière
l’arrestation du patron de la garde présidentielle le Général Ali
Sériati pour des raisons qui restent encore floues. Tous ceux qui ont
suivi l’intervention de l’ancien Ministre à la radio, tous ceux qui ont
lu ses déclarations publiées sur les colonnes du quotidien tunisien « EL
Chourouk » ont rapidement compris qu’Ali Sériati préparait un coup
d’état. Mais est-ce vraiment le seul message que M.Grira voulait faire
passer aux tunisiens? Non ! En effet, il faut être très naïf pour croire
que les révélations de M. Grira sont vides de sous-entendus. Ce sont
ces mêmes sous-entendus qui nous ont par la suite interpellés lorsqu’on a
vu l’ancien Premier ministre Mohamed Ghannouchi revenir sur ses
premières déclarations. Cette même personne qui, deux ans auparavant,
avait déclaré avoir évité de justesse un bain de sang (
http://www.youtube.com/watch?v=r4vv2IF-zwg ), s’est vue par la suite se rétracter. En effet, lors d’une émission télévisée (
http://www.youtube.com/watch?v=euoMaIdWDN8),
M. Ghannouchi a voulu nous faire croire que la journée du 14 janvier
était une journée ordinaire et a même fini par dire que l’accueil qui
lui a été réservé au palais présidentiel était « très chaleureux » et
que son intervention à la télé nationale s’est passée dans « de bonnes
conditions ». Pourquoi M. Ghannouchi a-t-il subitement changé de
versions ; lui qui connait plus que n’importe qui d’autre ce qui s’est
réellement passé ce jour-là au palais présidentiel en présence de
quelques personnes armées ? Pourquoi M. Béji Caïd Essebsi a-t-il connu,
lui aussi, le même sort ; lui qui avait annoncé le jour de sa
désignation à la tête du troisième gouvernement de transition qu’il
allait juger les vrais comploteurs ? Tout porte à croire que ces deux
hommes ont subi de réelles pressions, voire de réelles menaces afin
d’étouffer cette histoire. Les questions qui se posent alors : qui sont
ces personnes qui arrivent à menacer deux Premiers ministres jusqu’à les
faire changer de versions ? Quelle influence, ou moyens de pressions,
avaient-ils au juste sur le pouvoir qui était en place ? Que
voulaient-ils cacher ?
Toute l’affaire tourne autour de
M.Grira, l’homme clé de la journée du 14 janvier, et son arrestation
toujours inexpliquée et ordonnée par le Premier ministre Béji Caïd
Essebsi. En effet, tous les juges que j’ai pu rencontrer m’ont révélé
que les dossiers de M. Grira étaient « vides » et s’accordent tous à
dire que toutes les actions en justice intentées contre M. Grira dans le
cadre de la soixantaine d’affaires dans lesquelles il est poursuivi en
sa qualité d’ancien Ministre des domaines de l’Etat et des affaires
foncières étaient infondées. Pourquoi M. Grira est-il dans ce cas
toujours en état d’arrestation ? Clairement, l’arrestation de l’ancien
patron de la Défense Nationale dans les affaires citées ci-dessus n’est
que la partie visible de l’iceberg.
Un haut responsable
militaire retraité m’a confié que l’arrestation de M. Grira est liée à
la journée du 14 janvier. Sa rencontre était conditionnée par la
préservation de son anonymat. En voici l’intégralité de ses révélations :
J : M. Grira est-il impliqué dans les évènements du 14 janvier ? M : Non
! Mais M.Grira en sait beaucoup, pour ne pas dire tout, sur ce qui
s’est passé ce jour-là ! il sait très bien qui était derrière
l’arrestation des Trabelsi à l’aéroport de Carthage alors qu’ils
s’apprêtaient à fuir le pays, connait très bien la personne qui a envoyé
des milices pour dévaliser les maisons des Trabelsi afin de faire
croire au président Ben Ali que la situation a dégénéré et que sa
sécurité n’était plus du tout assurée, il sait très bien qui a donné
l’ordre à la polices et aux forces d’intervention le 13 janvier au soir
de déposer les armes dans les locaux de stockage d’armes de l’armée pour
faire croire à un coup d’état militaire. Il sait beaucoup d’autres
choses qui peuvent compromettre de hauts responsables et changer même le
cours de ce que vous appelez le « printemps arabe ». On a poussé M.
Grira à parler de la journée du 14 janvier dans les médias et c’était un
piège ! »
J : Qui a poussé M. Grira à faire une
chose pareille alors que tout le monde sait qu’il était très respecté au
sein de l’armée et du gouvernement qui était en place et à sa tête M.
Essebsi ? M : C’est l’ancien
ministre qu’il l’a poussé à parler. Les rumeurs battaient leurs pleins à
cette époque. Les gens se racontaient que si le parti islamiste
d’Ennahdha remporte les élections alors l’armée serait contrainte de «
s’installer à Carthage ». Cette rumeur s’est intensifiée lorsque
l’ancien Ministre de l’Intérieur s’est prononcé sur ce sujet. Tout le
monde pensait que le Général Ammar avait joué un rôle politique durant
les événements du 14 janvier alors que c’est faux. Toutes les décisions
politiques ont été prises par
Si (Monsieur en langue Arabe) Ridha. Tout le monde le savait sauf « le peuple ». Donc M. Essebsi, via Kamel Eltaief, a poussé
Si Ridha
à parler aux médias dans le but de donner plus d’éclaircissement sur le
rôle qu’il a joué et ainsi « débarrasser » le Général Ammar d’une
grande pression qui pesait sur son dos. Sauf que, ni Si Ridha ni El Béji
ne s’attendait à la contre-attaque que leur réservait le Général
Sériati.
J : Le Général Sériati était en état
d’arrestation lorsque M.Grira a parlé pour la première fois aux médias.
Comment aurait-il pu orchestrer cette « contre-attaque »? M : Certes ! Mais son fils et ses lieutenants ne l’étaient pas. Et ses derniers restent toujours très influents.
J : Vous voulez dire, si j’ai bien compris, que M.Essebsi a lâché M. Grira ? M : Exactement !
J : Pourquoi ne l’a-t-il pas protégé comme il l’a fait avec bon nombre d’hommes politiques et d’hommes d’affaires? M : C’est
vrai ! Mais il faut se mettre dans le même contexte qu’il y a deux ans
pour pouvoir comprendre. En fait, El Béji avait des ambitions politiques
et envisageait de rester au pouvoir même après les élections. Il
voulait être le premier Président de la République Tunisienne d’après ce
que vous appelez « la révolution du jasmin ». Plusieurs partis
voulaient qu’El Béji occupe « Carthage » après les élections car le
consensus autour de ce poste s’annonçait au départ très difficile. De ce
fait, El Béji devait redorer son image auprès des tunisiens. Et comme
Si Ridha était à cette époque dans la ligne de mire de tous les médias
pour ces affaires ridicules de domaines de l’état, il a choisi de le
sacrifier car c’était le seul et unique « gros poisson » qui était
encore en liberté . Son arrestation avait fait, comme prévu, grand
bruit. El Beji a fait, donc d’une pierre deux coups : d’une part, il a
ordonné l’arrestation du soi-disant cerveau des montages fonciers
douteux au sein du Ministère des domaines de l’Etat et d’autre part a
donné l’assurance suffisante aux personnes impliquées dans les
événements du 14 janvier pour que Si Ridha ne parle plus pour un bon
bout de temps.
J : Pourquoi M.Essebsi chercherait-il à protéger des gens qui voulaient anéantir le pays ? M : Encore
une fois, il faut se remettre dans le contexte des faits. El Béji
voulait mener le pays dans les meilleures conditions aux élections afin
de montrer à ceux qui lui ont promis la présidence que c’est un bon
leader. Et qui dit calme, dit mesure de sécurité renforcée…
J : Vous sous entendez que les personnes qui ont fait pression sur M. Essebsi faisait partie du corps sécuritaire ? M : Parfaitement !
J
: Donc si j’ai bien compris, M. Grira dérange plus d’une personne et
son arrestation n’a rien à voir avec les affaires des domaines de l’Etat
? M : Parfaitement. Et d’ailleurs vous pouvez
demander à tous ceux qui ont travaillé avec lui au sein de ce ministère.
Ils en savent quelques choses sur ce Grand Commis de l’Etat et la
grande différence entre Si Ridha, son prédécesseur et son successeur.
J : N’êtes-vous pas en train de prendre la défense de M.Grira? Après un long sourire ironique il répondit : M : Un
jour viendra et les tunisiens sauront ce que Si Ridha a fait le jour du
14 janvier au soir. Ce jour-là vous allez surement vous rappeler de
tout ce que je viens de vous dire.
J : vous m’avez l’air d’être très confient et sûr de vous ? M : je
suis musulman et je crois fermement en dieu. Le bon dieu ne laisse
jamais tomber les honnêtes et braves personnes comme Si Ridha. Ce
jour-là, on aurait pu tous y passer au moment où « le peuple » fêtait ça
soi-disant « révolution ». En cette période délicate l’armée a retrouvé
ces bons et loyaux généraux à l’instar du Général Ammar et du Général
Chébir mais a trouvé aussi un vrai Homme d’Etat et une personne digne de
notre ministère comme Si Ridha qui a mis toutes les tentations de côté
pour essayer de diriger le pays comme un vrai chef d’Etat. L’avenir vous
le montrera et j’espère que je serai encore en vie pour voir votre
réaction cher ami.
J : Pourquoi la justice
tunisienne ne lève-t-elle pas, une fois pour toute, le voile sur cette
affaire qui remonte à plus de deux ans en arrière maintenant ? M : Une
fois Henry Kissinger, ancien conseiller à la Défense nationale puis
Secrétaire d’État dans l’administration du Président Américain Nixon,
devait répondre à une question pareille concernant la guerre du Vietnam
et le rôle qu’a joué la CIA lors de ce conflit. Et savez-vous quelle
était sa réponse ?
J : Non ! M : Il a dit : « toutes ces histoires ne sont que la partie visible de l’iceberg. Si elles sortent, le sang va couler »
J
: Je vois. Donc il y a vraiment des choses très délicates et surtout
très compromettantes à cacher tant que le pays est instable ? M : Parfaitement
J : Un dernier mot ! M : je
souhaite que la Tunisie se remette le plutôt possible de la misère et
de l’injustice qu’elle est en train de vivre et je souhaite dire à Si
Ridha qu’il n’a pas à s’inquiéter pour ses affaires. C’est un homme
intègre et honnête. L’armée sera toujours à ses côtés pour les services
qu’il lui a rendu durant la période où il était à la tête de son
ministère et surtout pour les services qu’il a rendu au pays durant les
événements du 14 janvier.
Ce témoignage inédit d’un haut
responsable militaire n’est qu’une preuve de plus qu’il y a encore des
zones d’ombres qui entourent la journée du 14 janvier 2011. Néanmoins,
une chose est certaine : la Tunisie a frôlé la guerre civile.
Incontestablement, M. Grira, le Général Ammar et le Général Chébir ont
joué un rôle majeur durant ses événements. Les décisions prises par ce
trio ont sauvé la Tunisie et lui ont épargné un bain de sang. Une
question reste cependant sans réponse : qui pourrait en vouloir à M.
Grira au point de monter la justice et l’opinion publique contre lui ?
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