A
la veille de la journée internationale contre les violences faites aux
femmes, la situation des femmes au Congo, dont le corps sert de champ de
bataille, mérite que l'on s'y attarde. Extraits de "L'homme qui répare
les femmes"
Les femmes battues sont très nombreuses au Congo. Crédit Reuters
Le propre de la
guerre, c’est qu’elle est sale. Celle qui ronge l’Est du Congo est
particulièrement odieuse. Si la guerre couvait depuis longtemps, c’est
le génocide au Rwanda en 1994 qui va précipiter cette région dans la
tourmente. L’ombre de cette tragédie sans précédent y plane toujours
mais les causes des conflits d’aujourd’hui sont nombreuses :
multiplication des groupes armés, pillage des ressources minières,
faiblesse de l’État, impunité, précarité...
Vers
la fin des années 1990, la guerre prend un nouveau visage, celui de la
barbarie pure, de la cruauté gratuite. Premières visées et principales
victimes : les femmes. Elles sont mutilées, des clitoris sont coupés,
des seins sectionnés. Les viols auxquels les maris, les voisins, les
enfants sont souvent obligés d’assister, se déroulent sans autre
motivation que faire souffrir, humilier, terroriser…
Au
Congo, le corps de la femme est devenu le champ de bataille d’une
guerre de « basse intensité » ! Depuis quinze ans, Denis Mukwege,
médecin-chef à l’hôpital de Panzi (Sud-Kivu), fait face à une urgence
qui dure : les femmes, toujours aussi nombreuses, viennent à lui,
brisées, écartelées par tant de sauvagerie. Vagins détruits et âmes
mortes. Le gynécologue coud et répare. Il écoute aussi, prie quand il le
peut, se révolte souvent. Quand il en a l’occasion, il témoigne de la
souffrance de ces femmes du Kivu. À mains nues, il se bat contre le
viol, cette arme de guerre qui mine toute une société.
Ce
livre coup de poing doit sa force aux regards croisés de deux témoins
de premier plan : Colette Braeckman, grande spécialiste du Congo dont
elle sillonne les routes – mais aussi les sentiers tortueux et boueux –
depuis plus de trente ans. Passionnée par ce pays et scandalisée par le
sort réservé aux plus démunis, elle revient sur les séquences du
désastre, nous fait revivre les heures les plus noires de ces vingt
dernières années. Un petit « cours d’Histoire » indispensable pour qui
veut comprendre le « pourquoi » de cette violence sans précédent. Elle
nous invite ensuite à démêler les mobiles des « seigneurs de la guerre »
sans foi ni loi, fait écho à la souffrance des femmes, se met à leur
écoute, rend hommage à celles qui se remettent debout...
Sa
plume « trahit » sa colère, son écœurement, sa compassion. Parfois
désenchantée, elle refuse toutefois de tomber dans le fatalisme.
L’optimisme volontariste affiché par Denis Mukwege aurait-il déteint sur
elle ? Avec ce livre « engagé », Colette Braeckman souhaite dénoncer
mais aussi amplifier plus encore le témoignage de ce chirurgien, celui
qui répare les femmes et qui, sans cesse, se voit obligé de recommencer
son ouvrage… Homme de terrain, présent aux premières loges dès avant
1994, cet observateur hors pair a frôlé la mort plus d’une fois. Il vit
toutes ces horreurs de l’intérieur. Avec lui, c’est bien sûr le médecin
qui parle, mais très vite l’homme, le citoyen s’exprime. Ses propos sont
forts, souvent dérangeants. Avec son regard clairvoyant et ses
réflexions personnelles, Denis Mukwege complète à merveille le récit
hallucinant de l’auteur. Le résultat : un ouvrage original et
extrêmement puissant. Qui ne peut laisser indifférent…
atlantico.fr/