« Cela fait deux (2) ans que je suis à la maison à ne rien
faire ». Cette confession de Madame Ouédraogo rencontrée le 18 juillet à
l’ANPE (agence nationale pour l’emploi) illustre bien la problématique
de l’emploi et du chômage au Burkina Faso. Cette mère de trois enfants,
est venue à l’agence pour s’imprégner des nouvelles sur l’emploi. « Je
suis venue lire le tableau pour voir s’il y a une offre d’emploi qui
m’intéresse pour ainsi postuler » Avez-vous trouvé une offre qui répond à
votre profil ? « Malheureusement, il n’y a pas d’offre qui m’intéresse.
Puisque mon âge est dépassé. (Ndlr : l’offre répondant à son profil
limitait l’âge à 25 ans) »
Une deuxième malchance pour cette diplômée, le BEP en poche.
Ironisant sur son propre sort, elle lance : « le lundi dernier (le 9
juillet 2012), j’ai tiré un non » Il s’agit d’un principe de tir au
sort, où les candidats tirent entre un oui et un non. Et ce sont ceux
qui tirent le oui qui compétissent pour le poste demandé. Arouna
Ouédraogo, environ 30 ans, a pris part à ce concours.
Il s’agit d’une offre de la Sonabel qui voulait 25 candidats pour 5
postes. Selon M. Ouédraogo, il y avait environ 950 postulants. Certains
n’avaient pas leurs diplômes conformes (minimum le BAC ou le BEP étaient
exigés). De ce fait, environ 650 candidats ont tiré entre le oui et le
non. « J’ai été là-bas (à l’ANPE) de 7h à 14 h et j’ai tiré non » a dit
ce titulaire d’une maîtrise en économie. Il semble ne pas être surpris
de son résultat. « En fait, j’avais beaucoup de chance de tirer un non,
parce qu’il n’y avait que seulement 25 oui à tirer pour 650 candidats »
Pour ces chercheurs d’emploi, « il faut un lendemain meilleur » pour
citer madame Ouédraogo. Chaque jour, ils font la navette entre la maison
et l’agence pour l’emploi. Pacôme Zongo est un jeune homme de 26 ans.
Il est venu pour prendre « la carte de demandeur d’emploi » de l’ANPE
pour pouvoir postuler à des offres de son profil. Niveau terminale, il
n’a que son BEPC en poche. Sa motivation, « c’est le manque d’emploi »
dit-il. Pendant ce temps, Awa Traoré nourrit un petit espoir. Etudiante
en 1re année de Sciences Economiques et de Gestion (SEG) à l’Université
de Ouagadougou, elle a été retenue parmi 15 autres pour un (1) poste à
pourvoir au sein d’une société privée de la place. « Nous étions 65
postulants. On voulait 15 pour un poste de comptable niveau BEP. J’ai
été retenue » Mais elle se réserve de jubiler compte tenu du nombre de
retenus et le poste à pourvoir. « 15 candidats pour un poste, ce n’est
pas encourageant »
De potentiels candidats aux concours de la fonction publique
Ces demandeurs d’emploi semblent avoir beaucoup de points en commun.
On retient qu’ils sont tous des candidats aux concours de la fonction
publique. « On n’a pas le choix » se désole madame Ouédraogo. Tout comme
Awa Traoré, elle a déposé trois (3) dossiers de concours de la fonction
publique. Pacôme Zongo, lui en a déposé cinq (5). Le ministère en
charge de la fonction publique n’en dira pas le contraire. Chaque année,
il évalue entre 150.000 et 200.000 candidats pour environ 500.000
candidatures. Cela est dû au fait que chaque postulant dépose au moins
deux (2) dossiers de concours pour environ 6000 postes à pourvoir. En
2010, l’Etat burkinabè a pourvu la fonction publique de 7 653 postes au
concours directs. Tout compte établi, 103 de ces postes n’ont pas pu
être comblés. Autrement dit, ce sont au total 7 550 nouveaux
fonctionnaires (1 875 femmes et 5 675 hommes) qui ont été recrutés lors
de ces concours directs. Le nombre de candidats ayant postulé aux offres
d’emplois de la fonction publique en 2010 s’est élevé à 390 518 dont
135 999 femmes et 254 519 hommes. « Toute chose qui atteste que ces
offres d’emplois semblent se noyer dans la vaste marée des demandes
d’emplois qui augmentent d’année en année » selon l’ONEF.
Une mobilisation exponentielle
La quête de l’emploi connait une mobilisation forte de la part des
demandeurs. A quelques encablures de l’ANPE, se trouve Human Project. Il
s’agit d’un cabinet de Conseil en Ressources Humaines. Cette structure
intervient également dans le domaine de l’emploi. Elle recrute au compte
des sociétés ou entreprises qui expriment le besoin, des candidats
répondant aux profils demandés. Selon la directrice, Euloge Alida
Koudougou, la mobilisation des demandeurs est forte, tant du côté
féminin que masculin, pour postuler aux différentes annonces. Le niveau
d’études exigé est en général le supérieur, c’est à dire Bac + 2 ans
minimum. « Beaucoup de jeunes sont au chômage » s’est désolée Madame
Koudougou. Ainsi, certains n’attendent pas les appels à candidature. De
leur propre chef, ils introduisent au sein de Human Project des
candidatures spontanées dans lesquelles sont inclus leurs CV.
Et au cas où il y a une demande répondant au profil de l’intéressé,
le cabinet lui fait appel. Il s’agit de candidats dont l’âge des auteurs
est compris entre 23 et 35 ans. Un intervalle qui signifie que le
problème concerne majoritairement les jeunes. Dans cette cuvée, les
femmes semblent être les plus touchées par la question de l’emploi.
Selon la directrice, leur taux est estimé à environ 51% des demandeurs
au sein de son cabinet. Le moins qu’on puisse dire déclare t-elle, c’est
que « la demande est forte mais pas assez d’offre. Les entreprises ne
prennent en moyenne par an que 10 personnes en CDI (contrat à durée
indéterminée) » L’ANPE ne peut dire le contraire. De 2007 à 2011 elle a
enregistré 46 232 demandeurs d’emploi pour 4533 postes d’emploi pourvus à
travers les offres d’emploi traitées. Soit un taux de 9,80%.
Cette réalité est loin de satisfaire les seuls diplômés de
l’Université de Ouagadougou : environ 1600 diplômés de la maîtrise en
droit et en économie par an. Face à cette situation, les jeunes sont
prompts à sauter sur l’occasion qui s’offre à eux. L’exemple patent est
l’enrôlement biométrique. Selon Hermann Bado, responsable marketing de
Softnet, (cette structure était chargée du recrutement des opérateurs
pour le compte de la CENI) « pour 12000 opérateurs demandés, il y a eu
environ 20.000 postulants ». Le niveau requis était le Bac au minimum.
Cependant sur le terrain, la grande partie des opérateurs ont un diplôme
supérieur au Bac (licence ou maîtrise).
Selon l’Annuaire statistique du marché de l’emploi : Document
d’analyse ; édition 2010 de l’ONEF, 21 % (20% édition 2011) de
l’ensemble des demandeurs d’emploi ont un diplôme supérieur avec 36% de
femmes contre 64% d’hommes. La région du centre bat le record avec une
proportion des demandeurs d’emplois estimée à 65% par rapport aux autres
régions. La région des Hauts-Bassins vient en deuxième position en
termes d’effectif important de demandeurs d’emplois. Cette région a
enregistré en 2010 au total 1 682 demandeurs d’emplois. La répartition
des demandeurs d’emplois selon le sexe montre une supériorité numérique
des Hommes par rapport aux femmes. En effet, les hommes représentent 71%
(7 166) de l’effectif global des demandeurs d’emplois contre une
proportion de 29% (2 915) femmes.
Un système éducatif fauché ?
La situation de l’emploi au Burkina Faso est marquée par un taux de
chômage relativement faible de 2,4%, selon le Recensement Général de la
Population et de l’Habitation de 2006. Ce taux est de l’ordre de 0,6% en
milieu rural et de 9,3% en milieu urbain. Au regard de ces chiffres,
l’on pourrait dire que le chômage est un phénomène essentiellement
urbain et touche principalement les jeunes. Ainsi, selon Frédéric
Kaboré, directeur général pour la promotion de l’emploi, « en milieu
urbain où le phénomène de chômage sévit le plus, près du tiers des
jeunes de 15 à 24 ans n’ont pas d’emplois (29,4%). Le taux de chômage
passe à 21,4% pour la tranche de 25 à 29 ans. » Et pourquoi ce constat ?
Les différents acteurs intervenant dans le domaine mettent en cause le
système éducatif burkinabè.
Selon M. Kaboré, le problème est lié au manque d’expérience
professionnelle dû à l’organisation du système éducatif qui ne combine
pas enseignement théorique et formation dans l’entreprise (pour
l’acquisition d’une expérience professionnelle) ; de l’inadéquation
entre la formation et les besoins du marché du travail ; de
l’insuffisance de la culture entrepreneuriale chez les jeunes diplômés ;
l’insuffisance de financement en faveur de la création d’entreprise
(auto-emploi). « Le système éducatif forme des demandeurs d’emplois et
non des créateurs d’emplois » dit-il.
Changer la donne
Le gouvernement ne saurait rester indifférent face à cette
problématique de l’emploi. De ce fait, il a adopté en 2008, la Politique
Nationale de l’Emploi (PNE). Il s’agit d’une politique pour répondre à
la nécessité de forger des instruments d’analyse et des outils de
décision susceptibles d’inscrire dans le temps les actions à mener afin
de réduire de façon substantielle le chômage, le sous-emploi et la
pauvreté. Pour sa mise en œuvre quatre objectifs stratégiques ont été
dégagés, à savoir : créer un lien entre la politique de l’emploi et les
autres politiques nationales afin de clarifier leur interdépendance et
de montrer les contributions potentielles des politiques
macroéconomiques et sectorielles à la création d’emplois et à
l’amélioration de leur qualité.
Renforcer également la dynamique de la création d’emplois en
utilisant des moyens d’actions spécifiques qui stimulent l’emploi et en
améliorant la qualité. Ou encore, améliorer l’employabilité,
c’est-à-dire d’une part améliorer l’accès à l’emploi grâce à la
formation professionnelle, et d’autre part, améliorer l’adéquation entre
la formation professionnelle et la réalité du marché du travail. C’est
pour ces raisons que le Centre de Formation Professionnelle de Référence
de Ziniaré et le Centre d’Evaluation et de formation Professionnelle de
Ouagadougou ont été créés. Dans le même cadre de la PNE, le 24 Février
2012, a été lancé officiellement le Programme spécial de création
d’emplois pour les jeunes et les femmes (PSCE/JF) pour la période
2012-2014. Selon M. Kaboré, ce programme « constitue une solution au
chômage et au sous-emploi et devra contribuer à la mise en œuvre de la
Politique Nationale de l’Emploi. » Le PSCE/JF vise un objectif à savoir
la réduction du chômage et du sous-emploi des jeunes et des femmes :
générer en moyenne 54 000 emplois, créer 10 000 occupations et former 45
100 jeunes diplômés et ruraux jusqu’en 2014. Tout un programme !
Par Basidou KINDA
L’Evénement